Barrage d’Ilisu : un pas vers le retrait de la Suisse ?

Lausanne/Zurich, le 24 juin 2008 - Lors d’une réunion à Vienne, les assureurs contre les risques à l’exportation, les experts et la Déclaration de Berne (DB) se sont accordés sur le fait que la Turquie n’a pas pris les mesures adéquates pour remplir les exigences des bailleurs de fonds du projet de grand barrage à Ilisu, surtout celles concernant la relocalisation des habitants. Dans ce contexte, un retrait suisse du projet semble de plus en plus probable et nécessaire.

En mars 2007, le Conseil fédéral avait décidé de soutenir les entreprises suisses engagées dans la construction du barrage en leur accordant une garantie à l’exportation de 225 millions de francs. Les assureurs à l’exportation d’Autriche, d’Allemagne et de Suisse avaient cependant exigé que 150 conditions soient remplies concernant la relocalisation des habitants selon des standards internationaux, ainsi que la protection de l’environnement et des biens culturels. Lors d’une réunion à Vienne le 20 juin, les experts internationaux, les experts des assurances et les organisations critiquant le projet, parmi elles la DB, ont corroboré les résultats de leurs recherches sur place : les mesures nécessaires au déplacement des personnes, de la conservation des biens culturels et de l’environnement n’ont pas été prises. Bien au contraire, en avril 2007, un village a déjà été évacué sans que les habitants perçoivent les compensations promises.

Le professeur Michael Cernea, expert en déplacement de populations et ancien collaborateur de la Banque mondiale, déclarait : « La Banque mondiale n’aurait jamais accepté un dossier de financement auquel manquent même les données les plus élémentaires quant à la question du déplacement des populations. » Il prône la création d’une Autorité à la relocalisation mettant en œuvre les normes établies par la Banque mondiale. « Ce serait nécessaire, mais prendrait des années à mettre en place et capoterait sûrement en raison d’une volonté politique insuffisante de la part de la Turquie », commente Christine Eberlein, de la Déclaration de Berne. « Pour ces raisons, le début des travaux ne doit pas être envisagé avant quatre ans », ajoute-t-elle.

Sur place, cependant, des routes d’accès et des camps militaires devant protéger le chantier sont en pleine construction. De plus en plus de pressions sont exercées sur la population locale pour les forcer à quitter leurs terres de manière anticipée et sans les compensations promises. Selon la Société pour les peuples menacés, cela ne va pas seulement à l’encontre des normes internationales, mais pourrait aussi amener à des enfreintes aux droits de l’Homme. « Le gouvernement suisse doit maintenant trouver un accord clair avec la Turquie pour que les travaux cessent jusqu’à ce que des mesures garantissant la mise en œuvre des normes internationales et le respect de l’état de droit soient prises », déclarait Kaspar Haller, de la Société pour les peuples menacés.

Or, les dernières négociations ne semblent pas être allées dans ce sens. Des représentants des gouvernements suisse, allemand et autrichien se sont rendus à Ankara la semaine dernière afin d’éclaircir la situation avec les autorités turques, surtout à propos d’une mise en œuvre des conditions exigées encore avant la date officielle de début des travaux. Pourtant, ils ont seulement annoncé que le projet « se trouve dans une phase critique » et déclaré qu’ils souhaitent clarifier dans quelle mesure les assurances contre les risques à l’exportation pouvaient contribuer à l’amélioration du projet. Dans le cas où aucune mesure ne pourrait être prise d’ici à début octobre, un retrait serait envisageable.