Dirty Diesel: les Pays-Bas confirment le modèle d’affaires toxique de négociants suisses

Lundi 9 juillet, la police hollandaise de l’environnement a remis un volumineux rapport au parlement portant sur la composition des carburants exportés en Afrique de l’Ouest ainsi que sur la nocivité des ingrédients utilisés pour leur fabrication. Les inspecteurs insistent sur le rôle déterminant des négociants en matières premières, qui font « un usage maximum » de la faiblesse des standards en vigueur entre Dakar et Lagos, en passant par Accra. Tandis que les Pays-Bas endossent leur responsabilité dans ce commerce qui affecte la santé de millions d’individus, ni les sociétés suisses, ni le Conseil fédéral ne reconnaissent la leur.

En septembre 2016, Public Eye a diffusé le résultat d’une enquête de plus de trois ans intitulée « Dirty Diesel » portant sur le rôle de négociants tel que Vitol et Trafigura dans la production et l’approvisionnement de carburants toxiques sur le marché ouest-africain. Le rapport de la police hollandaise de l’environnement (Human Environment and Transport Inspectorate, ILT) est une conséquence directe des révélations retentissantes de Public Eye.

En 2017, l’ILT a analysé la composition de 44 tankers pétroliers en route pour l’Afrique de l’Ouest. Tout en soulignant l’importance de négociants établis en Suisse comme Gunvor, Litasco et Vitol, les inspecteurs relèvent que le recours au mélange (« blending ») est une pratique systématique par laquelle des composants toxiques sont introduits dans les carburants même si les normes en vigueur en Afrique de l’Ouest sont respectées. Cette manœuvre est le résultat de la « recette » exigée par les négociants en fonction de son marché de destination.

Identifiée comme une cause majeure de la pollution de l’air aux particules fines, la teneur en soufre présente dans le diesel dit de « qualité africaine » atteint jusqu’à 300 fois la limité fixée en Europe. Et plus du double du seuil autorisé s’agissant des hydrocarbures aromatiques polycycliques, composés de polluants classés cancérogènes. Dans l’essence, au-delà du soufre, des ingrédients cancérogènes comme le benzène ou l’isoprène ont été décelés, ainsi que du manganèse à hauteur de 30 fois la limite maximale prévalant sur le Vieux Continent.

Ces produits font peser un risque majeur de santé publique sur les villes africaines. Par ailleurs, ils laissent à penser que les Etats d’Afrique de l’Ouest paient trop cher pour les carburants qu’ils importent. Cette question est par exemple centrale au Nigeria, où les discussions sur le durcissement des standards sont bloquées depuis plusieurs mois en raison des incertitudes liées aux répercussions sur le prix à la pompe. Pour le directeur du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), il ne fait pourtant aucun doute que la vente de ce cocktail toxique doit cesser immédiatement :

Les produits de mauvaise qualité ne doivent pas être vendus, même s’ils sont conformes aux standards nationaux.

En publiant cette enquête fouillée, les Pays-Bas assument leur responsabilité en tant que centre de production et d’exportation de carburants nocifs. En parallèle, le Point de contact national examine, sur instruction ministérielle, si les firmes impliquées violent les lignes directrices de l’OCDE en matière de respect des droits humains et de l’environnement. En Suisse, où les principaux négociants ont leur siège, les autorités n’ont pas jugé opportun de réagir officiellement à ce scandale. Cette passivité face à une violation manifeste du droit à la santé des habitants des villes africaines illustre la pertinence et la nécessité de mettre en œuvre l’initiative pour des multinationales responsables.

Plus d’informations sur le commerce de carburants toxiques en Afrique ici ou auprès de :

Marc Guéniat, responsable enquêtes, +41 21 620 03 02, marc.gueniat@publiceye.ch