Banques et droits humains: confrontation à Thoune

En 2010, Public Eye avait lancé le débat sur la responsabilité des banques en matière de droits humains. Après des mois de silence, un groupe de grandes banques a publié en janvier une prise de position qui dénature complètement les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a pourtant confirmé leur interprétation, dans une note publiée le 12 juin. Les multinationales de la haute finance devront répondre de leur vision déformée de la réalité lors d’une grande confrontation à Thoune, le 19 juin.
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Auteur : Andreas Missbach

Il y a plus de dix ans, les géants de la finance UBS et Credit Suisse adoptaient leurs premières mesures pour se conformer aux exigences de Public Eye (anciennement Déclaration de Berne) à l’égard des standards de financement des secteurs à haut risque – tels que l’extraction pétrolière et l’industrie minière. Les documents que nous avions alors pu nous procurer démontraient que les banques avaient bien fait leurs devoirs sur le plan des risques environnementaux, mais qu’elles semblaient très peu s’intéresser au sort des personnes victimes des activités qu’elles financent. Nous avions donc publié les détails des violations de droits humains perpétrées « grâce » aux financements de UBS et de Credit Suisse.

Notre objectif était alors d’attirer l’attention des banques sur les négociations menées de 2006 à 2011 autour des principes directeurs de l’ONU. Depuis le début du processus, Public Eye était en contact avec John Ruggie, l’auteur des principes directeurs. Consultés sur la dernière ébauche des principes, nous avons contribué à une avancée majeure en faisant simplement ajouter les deux mots « ou services ». Deux mots grâce auxquels les banques se retrouvaient également concernées : les entreprises ne devaient plus uniquement assumer la responsabilité de leurs activités liées à leurs produits, mais aussi à leurs services (financiers).

La bombe du « Groupe de Thoune »

En réaction à notre campagne et aux principes directeurs de l’ONU, UBS et Credit Suisse ont invité plusieurs banques à Thoune pour discuter de la thématique des droits humains. Ce « Groupe de Thoune » a publié, en 2013, une prise de position qui nous paraissait plutôt satisfaisante. C’est pourquoi Public Eye et le réseau BankTrack, qu’elle a cofondé, ont décidé d’entamer une discussion avec le groupe. Et nous avons ainsi été invités à Thoune en 2014.

Depuis lors, les banques se sont réfugiées dans un mutisme total, du moins jusqu’en janvier 2017, lorsque le Groupe de Thoune a publié une deuxième prise de position qui, selon tous les spécialistes engagés dans la mise en œuvre ciblée des principes directeurs, a fait l’effet d’une bombe. John Ruggie a alors écrit à UBS, principal interlocuteur du Groupe de Thoune :

Les principes directeurs de l’ONU ne sont pas un test psychanalytique où chacun peut y aller de sa propre interprétation.

Outre UBS et Credit Suisse, la prise de position est également signée par les Banques Barclays, BBVA, BNP Paribas, Deutsche Bank, ING, J. P. Morgan, RBS, Standard Chartered et UniCredit.

Tentative d’argumentation

L’argument le plus problématique de cette nouvelle prise de position du Groupe de Thoune est le suivant : les banques pourraient certes être « directement liées » à des violations de droits humains, mais jamais elles ne pourraient être considérées comme pouvant « être à l’origine » de ces violations, ni « y contribuer ». Une argumentation qui peut surprendre, mais dont l’objectif est en fait évident : selon les principes directeurs de l’ONU, une entreprise n’est pas tenue de prévoir des mesures de réparation pour des violations de droits humains auxquelles elle est seulement « directement liée ».

Donnant suite à une requête du réseau BankTrack, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a pourtant réaffirmé l’interprétation des Principes directeurs, dans une note dédiée aux responsabilités du secteur bancaire publiée le 12 juin. Il formule également, pour la première fois, des recommandations détaillées concernant l’application des Principes directeurs de l’ONU au secteur bancaire.

Le 19 juin sera le moment de la confrontation à Thoune : Public Eye et des spécialistes des droits humains de renommée internationale, dont John Ruggie lui-même, rencontreront les multinationales de la haute finance. Qu’il pleuve ou qu’il vente, la journée s’annonce des plus chaudes.

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A propos de cet article :

Cet article a été publié initialement dans Public Eye - Le magazine n°6 (juin 2017).
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