Banques et droits humains: marche arrière à Thoune

Dans quelle mesure les banques peuvent-elles contribuer, par leurs services financiers, à des violations de droits humains? Quelles sont leurs responsabilités? Pour en débattre, un groupe de grandes banques et des spécialistes des droits humains de renommée se sont réunis à Thoune le 19 juin. Une rencontre annoncée comme le moment de la confrontation entre deux visions opposées de l’application au secteur bancaire des principes directeurs de l’ONU. En effet, les banques du «Groupe de Thoune» avaient publié, en janvier, une prise de position qui dénaturait complétement les principes directeurs et avait fait l’effet d’une bombe. Compte-rendu d’Andreas Missbach, qui représentait Public Eye lors de cette rencontre insolite à Thoune.
Bilanz eines ungewöhnlichen Zusammentreffens: Drei Fragen an Andreas Missbach, Mitglied der Geschäftsleitung von Public Eye.


Le cadre est somptueux : des arbres centenaires, le splendide lac de Thoune, à droite l’imposante pyramide du Niesen et, en arrière-fond, les sommets de l’Eiger et de la Jungfrau. La Suisse des cartes postales en somme, un cadre rêvé pour accueillir les discussions autour des responsabilités des banques en matière de droits humains, et ce en présence des plus grands experts dans ce domaine.

Des participants de haut vol

Le plus éminent des experts présents n'était autre que John Ruggie, représentant spécial des Nations unies de 2006 à 2011. L’auteur des Principes directeurs de l'ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme était accompagné de membres de son équipe de l’époque.

Lene Wendland, qui a travaillé sur les principes directeurs en tant que représentante de l’ONU, est aujourd’hui responsable de leur mise en œuvre au sein du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH). C’est cette institution onusienne qui a répondu à Public Eye et BankTrack, peu avant la rencontre à Thoune, en démontant point par point l’interprétation des principes directeurs faite par le Groupe de Thoune. Le HCDH a ainsi confirmé toutes les revendications que Public Eye formulait depuis onze ans à l’attention des banques.

Troisième membre de l’équipe de Ruggie, Gérald Pachoud avait à l’époque été « emprunté » au Département fédéral suisse des affaires extérieures pour travailler sur les principes directeurs de l’ONU. A Thoune, Gérald Pachoud était chargé de modérer la table ronde portant sur la prise de position controversée du groupe de banques

Depuis la fin du mandat de John Ruggie, la thématique « entreprises et droits humains » est traitée au sein de l’ONU par un groupe de travail représenté à Thoune par la professeure de droit Anita Ramasastry. Cette dernière publiait déjà en 1986 son premier document sur le lien entre les banques et les droits humains, en s’appuyant notamment sur la gestion par les banques suisses des fonds en déshérence des victimes de l’Holocauste. Aux côtés des représentants et représentantes de l’ONU figurait également le responsable du Groupe de travail de l’OCDE sur la responsabilité des entreprises, Roel Nieuwenkamp.

Public Eye était représentée par Lyssandra Sears et Andreas Missbach (participant à la table ronde), accompagnés de Ryan Birthwell et Johan Frijns (BankTrack), Katya Nikitenko (Greenpeace) et Ben Thompson (Pax).

« Un simple malentendu »

A notre grande surprise, les banques n’ont plus cherché à défendre leur prise de position, comme elles l’avaient pourtant fait par écrit en réponse aux virulentes réactions provoquées par sa publication. L’exclusion claire de l’éventualité que les banques puissent « contribuer » à des violations de droits humains – affirmation la plus inacceptable de leur prise de position – n’était soudain plus si catégorique. Il s’agirait selon elles d’un simple malentendu, les banques s’étant alors concentrées uniquement sur les cas les plus courants... Leurs avocats ont également contesté le fait que le document de position traitait uniquement de violations de droits humains en lien direct avec les banques à travers leur financement car elles ne seraient ainsi pas tenues de prévoir des mesures de réparation. Difficile à croire...

De belles paroles... en l’air !

Au lieu de la confrontation tant attendue, le rendez-vous de Thoune n’aura finalement été qu’un moment de paix et d'amitié, une occasion de savourer ensemble de délicieuses omelettes, sans que le moindre œuf n’ait toutefois été cassé. Mais Public Eye n’est pas dupe face au discours trompeur des banques. Nous attendons de voir leurs belles paroles se traduire en actes. Les décisions que les banques prendront à huis-clos seront déterminantes. Leur prise de position sera-t-elle modifiée ou simplement oubliée ? Le Groupe de Thoune se dotera-t-il enfin d’une structure afin que l’on sache à qui s’adresser ? Les banques vont-elles enfin mettre en œuvre la « stratégie d’engagement des parties prenantes » qu’elles avaient promise en 2014 ?

Pour être à nouveau pris au sérieux dans les discussions sur les liens entre les banques et les droits humains, le Groupe de Thoune doit sortir du mutisme qu’il entretient autour de la production de ses documents de position. A trois mots près, la conclusion de Public Eye lors de la table ronde de Thoune était identique à celle que nous avions formulée en 2014. Espérons que l’année prochaine, nous n’aurons pas à nous répéter mais pourrons parler de progrès et adapter nos revendications.

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