OMC: la Suisse joue avec la survie de millions de patients

Confrontés à de gigantesques défis de santé publique, les pays les moins avancés (PMA)* ont demandé au Conseil des ADPIC de l’OMC de prolonger leur exemption de brevets sur les produits pharmaceutiques, tant qu’ils figurent parmi les pays les plus pauvres de la planète. Face à l’intransigeance des Etats-Unis, mais aussi de la Suisse, ils ne l’ont obtenu que pour une durée supplémentaire de 17 ans. Ce sont moins des enjeux économiques que des questions de principe qui ont prévalu, alors que les défis socio-économiques sont immenses et seront sans doute loin d’être résolus dans ce laps de temps. La Déclaration de Berne (DB) condamne ce déni du droit au développement.

Selon les Nations Unies, plus de 70% de la population des pays les moins avancés (PMA) vit avec moins de 2 dollars par jour. Bien que regroupant environ 12% de la population du globe, ces pays représentent moins de 2% du produit mondial brut et 1% seulement des échanges commerciaux de la planète, selon l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Fin 2013, près de deux tiers des 10,7 millions de personnes vivant avec le VIH dans les PMA n’avaient toujours pas accès au traitement. L’incidence des cas de cancer devrait y augmenter de manière drastique d’ici à 2030 (82%), bien plus que dans les pays à hauts revenus (40%), alors que près de la moitié de la population des PMA doit payer les frais de santé de sa poche et que le prix des nouveaux traitements anticancéreux s’envole. Récemment, la crise Ebola a frappé durement 3 pays en Afrique de l’Ouest – tous des PMA – et de nombreux pays figurant parmi les plus pauvres de la planète doivent faire face à des catastrophes naturelles ou à des situations de conflits.

En 2002, les PMA, avaient obtenu, en pleine crise du Sida, une première exemption de brevets sur les produits pharmaceutiques. Celle-ci arrive à échéance le 1er janvier 2016. Confrontés à de gigantesques défis de santé publique, les PMA ont demandé au Conseil des ADPIC de l’OMC de la prolonger tant qu’ils figurent parmi les pays les plus pauvres de la planète. Cette exception pharmaceutique s’est révélée être un mécanisme légal simple et extrêmement efficace. De nombreux PMA l’ont utilisé pour importer des médicaments à des prix abordables, y compris dans le cadre de programmes financés par la communauté internationale.

Plusieurs agences des Nations Unies, des organisations internationales ainsi que des fournisseurs de médicaments génériques à but non lucratif ont soutenu publiquement la demande des PMA, faisant valoir une nécessaire sécurité juridique afin de poursuivre leurs activités sans crainte de litige. De nombreuses ONG, dont la DB, ont également mis en avant l’importance d’une exemption permanente afin de ne pas décourager des producteurs de génériques d’investir dans ces types de marchés. Même la Norvège et – à la surprise générale – l’Union européenne et la fédération européenne des associations et industries pharmaceutiques (EFPIA) avaient recommandé un soutien inconditionnel à la requête légitime des PMA. Une poignée de pays riches, les Etats-Unis en tête mais aussi la Suisse, s’y sont pourtant opposés, principalement pour des questions de principe. Dans cette confrontation inégale, les PMA ont dû céder sur la question de la durée, qui sera finalement limitée à 17 ans.

La position de la Suisse est d’autant plus incohérente sur ce dossier que, de son propre aveu, elle n’avait rien à gagner ou à perdre d’un point de vue économique. De plus, elle est un important bailleur de fonds de plusieurs organisations internationales impliquées dans l’accès aux traitements dans les PMA, qui repose pour beaucoup sur cette exception pharmaceutique. Enfin, la vaste majorité des pays prioritaires de la Direction du développement et de la coopération (DDC) dans le cadre de coopération bilatérale au développement sont des PMA.

* L’expression «pays les moins avancés (PMA)» désigne une catégorie onusienne qui regroupe 48 pays – en majorité africains – présentant les indices de développement humain et socio-économique les plus bas de la planète. Parmi eux, 34 sont membres de l’OMC.