La Suisse, au cœur du négoce agricole mondial

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Les origines du négoce de matières premières en Suisse remontent au 19ème siècle, et tout a commencé avec les marchandises agricoles. La plupart des négociants d’origine ont disparu, mais la Suisse est malgré tout devenue une plaque tournante mondiale dans ce domaine. Les sociétés de négoce y sont accueillies à bras ouverts. Il n’est donc pas surprenant que la plupart des géants des matières premières agricoles aient des liens commerciaux importants avec la Suisse.

Le négoce de matières premières en Suisse a une longue histoire. En 2011, Public Eye (anciennement Déclaration de Berne) a publié le premier ouvrage de référence sur ce secteur très opaque «Swiss Trading SA – La Suisse, le négoce et la malédiction des matières premières».

En 1851, les frères Volkart fondent à Winterthur une entreprise de négoce qui, à l’origine, importe principalement du coton en provenance d’Inde. À la fin du siècle, Volkart était devenu l’un des plus grands commerçants de coton indien, et l’un des principaux importateurs de café au monde. En Suisse romande, André & Cie, une entreprise fondée en 1877 et dont le siège était à Lausanne, est rapidement devenue l’un des plus grands négociants céréaliers au monde. La troisième entreprise commerciale importante pour l’histoire du commerce suisse est la Mission de Bâle, et son UTC (Union Trading Company) spécialisée dans le commerce de cacao: elle est rapidement devenue l’un des premiers négociants mondiaux de ce secteur.

Toutefois, ces maisons suisses traditionnelles n’ont pas fait du pays la plaque tournante qu’elle est aujourd’hui. En réalité, la majeure partie des entreprises traditionnelles n’ont pas survécu à la concurrence. Seul Volkart existe encore aujourd’hui dans une certaine mesure: l’entreprise a été rachetée par la famille Reinhart au début du 20ème siècle. Paul Reinhart AG (Reinhart) se spécialise dans le commerce du coton et a revendu sa branche café en 1989. Aujourd’hui, l’ancienne branche de commerce de café de Volkart (Volcafe) a toujours son siège en Suisse, mais est propriété du négociant britannique ED&F Man Holdings.

C’est dans les années 1950 que des sociétés internationales commencent à s’installer autour du lac Léman et en Suisse centrale. Des allègements fiscaux taillés sur mesure facilitent le choix de Genève par Cargill au moment d’installer son bureau européen en 1956. Les autorités fiscales ont convenu du versement d’une somme forfaitaire de 50'000 francs par an, avec la possibilité d’une renégociation de cet accord en cas d’évolution de l’activité. Et cette évolution a bien eu lieu: aujourd’hui, Cargill est le plus grand négociant en matières premières agricoles au monde. Par ailleurs, c’est aussi en 1956 que Philipp Brothers, à l’époque le plus grand négociant en minerai et métaux, s’est installé à Zoug.

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Une fiscalité très favorable, pour un secteur non régulé

Le régime fiscal helvétique a toujours été très attractif pour les négociants. Mais ce n’est pas la seule raison qui a motivé ces sociétés à s'installer en Suisse: après la Seconde Guerre mondiale, la Suisse était l’un des seuls pays où l’importation et l’exportation de capital n’étaient soumises à aucune restriction ou contrôle gouvernemental. La présence de prestataires de services importants était un autre facteur décisif pour de nombreuses sociétés qui ont choisi d’installer leurs bureaux dans le pays. Banques, compagnies d’assurance spécialisées, sociétés d’audit, de logistique et de transport de marchandises étaient à leur disposition. De nombreuses entreprises fournissaient aussi l’industrie de la fabrication, en pleine croissance, à commencer par l’entreprise alimentaire Nestlé, basée à Vevey, ainsi que divers autres producteurs de chocolat.

Jusqu’à 2002, la Suisse n’était pas membre des Nations Unies. Jusqu’à cette date, les négociants siégeant en Suisse pouvaient profiter d'opportunités commerciales très lucratives. André & Cie, par exemple, a pu contourner l’embargo commercial imposé par les Nations Unies à l’ancienne Rhodésie (le Zimbabwe actuel) et le boycott de l’Union Soviétique par les États-Unis. Marc Rich, commerçant chez Philipp Brothers et fondateur de l’entreprise suisse de négoce Marc Rich + Co. (plus tard rebaptisée Glencore) a admis à son biographe avoir réalisé ses transactions «les plus importantes et les plus rentables» en brisant des embargos mondiaux, notamment en commerçant avec l’Afrique du Sud pendant l’apartheid. D'autres relations commerciales ont également été établie avec Cuba, l’Angola et le Nicaragua, alors que ces pays étaient également sous embargo. Rich fut ensuite inculpé par le jury fédéral des États-Unis pour évasion fiscale et pour avoir conclu des accords pétroliers avec l’Iran pendant la crise des otages.

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Les négociants sont aujourd’hui encore accueillis à bras ouverts. En mai 2017, par exemple, le canton de Genève a signé un protocole d’accord avec COFCO International, la branche commerce international du conglomérat public chinois China National Cereals, Oils and Foodstuffs Corporation (groupe COFCO). L’accord a été signé par l'ancien conseiller d’État Pierre Maudet, en présence de Doris Leuthard, à l’époque présidente du Conseil fédéral, et COFCO International s’est vu accorder le soutien absolu du canton pour l’expansion de ses activités. Genève s’est également engagée à fournir à l’entreprise un environnement commercial propice.