Taxe RAM Méga-scandale de téléphonie en RDC : un réseau d’hommes d’affaires belges opérant depuis Kinshasa et Genève
Agathe Duparc, en collaboration avec Robert Bachmann, 10 septembre 2025
L’idée semblait plutôt vertueuse : le gouvernement congolais allait enfin mettre de l’ordre dans le secteur chaotique de la téléphonie mobile, un marché en pleine expansion. Avec une population de 105 millions d’habitant·e·s, dont aujourd’hui près de 60 millions d’abonné·e·s, la République démocratique du Congo (RDC) est confrontée à la prolifération d’appareils de contrefaçon. Ces téléphones, vendus aussi dans des boutiques ayant pignon sur rue, sont non seulement peu fiables, mais souvent dangereux. À cela s’ajoute les vols fréquents d’appareils, source de violences et de trafics tous azimuts.
Lorsqu’il est élu président en décembre 2018, Félix Tshisekedi promet de tourner la page de l’ère (Joseph) Kabila, son prédécesseur au pouvoir depuis 2001, dont le règne a été marqué par la guerre à l’est du pays, la corruption et les malversations financières, comme nous le racontions dans la vaste enquête Congo Hold-up. L’une de ses mesures phares est le lancement d’un plan national du numérique présenté comme un « levier d’intégration, de bonne gouvernance, de croissance économique et de progrès social ».
C’est ainsi qu’en septembre 2020, en pleine crise du Covid-19, le ministre des Postes et Télécommunications, Augustin Kibassa, qui est par ailleurs le beau-frère par alliance du président Tshisekedi, annonce la mise en place d’un Registre des Appareils Mobiles (RAM). Recommandé par l’Union internationale des télécommunications, ce dispositif permet de répertorier tous les numéros IMEI (l’identifiant unique des téléphones portables), et de bloquer ainsi les d’appareils contrefaits ou volés.

Tollé autour de la taxe RAM
Dans plusieurs pays voisins disposant de tels systèmes, l’enregistrement des mobiles est gratuit. Mais, à contre-courant, les autorités congolaises décident que le RAM sera payé par les utilisateurs et utilisatrices, via un prélèvement annuel: 1 dollar US pour les téléphones 2G et 7 dollars pour les appareils 3G, 4G et 5G, automatiquement débités en six échéances par les opérateurs téléphoniques. Ces recettes, promet le gouvernement, financeront des « bienfaits divers » pour réduire la fracture numérique, comme la construction d’usines de montage de téléphones ou l’installation du wifi gratuit dans les universités et les espaces publics.

Mais dans un pays où 73 % de la population vit avec moins de 2,15 dollars par jour, le dispositif, qui présente de sérieux ratés, suscite rapidement l’indignation. Celles et ceux qui disposent de deux cartes SIM sur le même téléphone, une situation courante en RDC, voient leur facture doubler. Pour les personnes les plus démunies, les recharges de crédit sont immédiatement avalées. Certaines lignes sont coupées du jour au lendemain, alors que le gouvernement avait promis un moratoire d’un à deux ans pour déconnecter les appareils contrefaits. Les associations de défense des consommateurs organisent des manifestations pour exiger l’abrogation de la redevance, qu’elles jugent « illégale et antisociale ». Devant ce tollé, le parlement congolais s’empare également de la question, de nombreux députés demandant la suppression du dispositif, considéré par certains comme « une escroquerie à ciel ouvert ».

30 % des recettes pour un discret prestataire privé
Ce gigantesque scandale est aussi financier. À la veille du lancement de ce que les autorités qualifient de « redevance », le ministre des Télécommunications reconnaît publiquement que le RAM va être mis en place avec l’aide d’une société privée, 5C Energy RDC. Les médias congolais révèlent que ce prestataire, au profil inconnu, fait partie d’un groupe dont la principale antenne – 5C Energy SA – est basée à Genève. Selon le président de l’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications (ARPTC) – l’organe chargé de la mise en œuvre du RAM et qui dépend directement de la présidence congolaise –, cette entreprise a été choisie pour ses « références en Afrique sur toutes une série de projets ». Sa mission : « soutenir durant cinq ans la mise en place du RAM » et assurer un « support technique ». En contrepartie, il est prévu qu’elle ne touche pas moins de 30 % des recettes générées par la taxe RAM, le reste devant revenir à l’État congolais, explique-t-il.
Ce juteux marché fait rapidement l’objet de toutes les suspicions. Au lieu de recourir à un appel d’offres, qui permet de mettre en concurrence plusieurs prestataires privés selon des règles transparentes et équitables, l’ARPTC a en effet opté pour un contrat de gré à gré avec 5C Energy RDC. Ce contrat n’a à notre connaissance jamais été rendu public.
À l’époque, 5C Energy se présente sur son site internet – aujourd’hui fermé mais accessible dans les archives du web – comme un « groupe indépendant avec une implantation internationale et un important réseau de partenaires », fournisseur « de solutions innovantes dans les secteurs du numérique, de l’industrie et de l’énergie ». En 2021, le groupe affiche une brochette de clients prestigieux : les géants pétroliers Total, Shell, Petrobras et Perenco, ainsi que des « gouvernements et des institutions ». Outre l’ARPTC, sont cités les ministères du Pétrole et des Hydrocarbures du Gabon, du Tchad et du Congo-Brazzaville, ainsi que l’Association des maires du Sénégal et le ministère des Terres de Gambie. Nous n’avons pas trouvé trace de ces partenariats en ligne, hormis quelques articles d’un média d’opposition gambien sur les conditions d’attribution controversées d’un marché de collecte de taxes. Il aurait été obtenu sans appels d’offres en 2020 par 5C Energy Company Gambia et fait l’objet d’une enquête par une commission gouvernementale locale.
Sur cette page web, l’onglet « contact » n’est plus accessible, mais dans une version ultérieure et remaniée du site, 5C Energy donne comme seul contact une adresse, un mail et un numéro de téléphone à Genève. Une société du même nom, 5C Energy SA, est domiciliée à cette adresse.
Contactées sur leur présumé lien d’affaires avec 5C Energy, les entreprises pétrolières n’ont pas répondu à nos questions.


Naissance sur les bords du Léman
5C Energy SA a vu le jour en mars 2016, enregistrée à Genève par un expert-comptable qui détient alors son capital à titre fiduciaire, c’est-à-dire pour le compte d’un tiers. À son adresse, dans un bel immeuble au cœur de la vieille ville, se trouve également l’étude d’un avocat bien connu de la place. Huit ans plus tard, alors que le scandale de la taxe RAM s’est tassé en RDC, l’homme de loi a accepté de domicilier à son étude 5C Energy SA, rebaptisée Veltio Solutions SA, ainsi que plusieurs autres structures indirectement liées à cette dernière.
À sa création, 5C Energy SA a comme but « l’achat et vente de tout matériel, pour des installations techniques, pétrole et gaz, ainsi que toute activité de consulting autour de ce type de projets ». Ses administrateurs sont des hommes d’affaires belges, également actifs dans le commerce de diamants.
Les documents consultés par Public Eye montrent que la société genevoise est liée à la société congolaise. Les statuts de 5C Energy RDC ont en effet été déposés le 1er novembre 2019 par l’un des citoyens belges administrateurs de 5C Energy SA à Genève, Jérôme Spaey. Vingt jours plus tard, un autre Belge, Philippe Heilmann, monte à bord de la structure congolaise, se voyant céder par Jérôme Spaey une partie du capital.
En juillet 2020 – soit deux mois avant le lancement officiel de la taxe RAM – 5C Energy SA modifie ses statuts. Le nouvel objet inclut désormais une vaste gamme de services liés aux technologies de l’information : « la digitalisation, les solutions mobiles pour des services financiers, la numérisation, les blockchains, la communication, les services à valeur ajoutée, le support, ainsi que toute activité de consulting et de développement de solutions autour de ce type de projets ». Cette réorientation laisse penser que la société genevoise aurait pu jouer un rôle dans l’obtention du lucratif contrat congolais.
Flou artistique sur les dizaines de millions prélevés
Pendant plus de deux ans, la taxe RAM et les interrogations autour de 5C Energy font la Une des médias congolais et donnent lieu à un nombre considérable de publications, débats et interpellations. Face à la contestation, le président Tshisekedi soucieux de préserver sa popularité, fait volte-face. En février 2022, le gouvernement annonce la gratuité des services liés au RAM, mettant fin à la redevance obligatoire. Le couvercle se referme sur le retentissant scandale, mais toute une série de questions restent ouvertes.
À ce jour, le montant total ponctionné auprès de la population, entre septembre 2020 et février 2022, n’a pas été officiellement établi. Lors du lancement du dispositif, le président de l’ARPTC estimait qu’il allait rapporter plus de 50 millions de dollars de recettes annuelles. Un an plus tard, le ministre des Postes et Télécommunications, Augustin Kibassa, auditionné par l’Assemblée nationale, affirmait qu’il avait permis de récolter 25 millions depuis son lancement, soit deux fois moins.
Selon les estimations de plusieurs parlementaires, cette somme aurait dû atteindre 106 millions de dollars. « Ce calcul est basé sur les chiffres donnés par le Ministre Kibassa, soit 26,6 millions de téléphones 2G et 11,4 millions équipés de 3G et plus », se souvient Claude Misare, un député de l’Assemblée nationale, la chambre basse du parlement, contacté par Public Eye.
De son côté, l’Observatoire de la Dépense Publique (ODEP), une ONG congolaise, a jugé en 2021 que l’opération aurait dû rapporter près de 266 millions de dollars. Ces écarts de chiffres considérables n’ont fait que nourrir les soupçons d’opacité et de mauvaise gestion.
À la recherche des fonds perçus
Plus stupéfiant encore : les recettes de la taxe RAM, qui selon la clé de répartition, devaient bénéficier à 70% à l’ARPTC – et le reste à 5C Energy – sont restées introuvables dans les comptes publics, comme l’a constaté la commission Économie et Finances de l’Assemblée nationale en décembre 2021. « Votre commission a le regret de vous annoncer que le RAM n'est ni dans le budget général, ni dans les comptes spéciaux même là où on ne peut pas le trouver dans les budgets annexes. Nous sommes allés jusque-là, on n'a pas retrouvé RAM », a alors déclaré son président, cité par la presse congolaise.
« La taxe ne figurait pas non plus dans l’arrêté interministériel du 27 novembre 2020 qui fixait les taux des droits, taxes et redevances à percevoir à l’initiative du Ministère des Postes et Télécommunication et ceux perçus par l’ARPTC », se remémore Valéry Madianga, ancien enquêteur de l’ODEP, joint par Public Eye. « Seule une analyse technique aurait pu démontrer la nécessité d’une enquête judiciaire. Elle aurait probablement conclu qu’il s’agissait d’un cas manifeste d’enrichissement illicite », fait valoir l’activiste anti-corruption, aujourd’hui coordonnateur du Centre de Recherche en Finances Publiques et Développement Local (CREFDL).
Sommé de s’expliquer, Augustin Kibassa avait finalement affirmé que les prélèvements n’étaient pas une taxe mais «une rémunération des services et prestations fournis par l’ARPTC ». Il suggérait que la gestion des fonds relèvait exclusivement de cet organisme, placé sous l’autorité de la présidence congolaise.
Le contrat 5C Energy jamais rendu public
Regroupées au sein de la plate-forme « Le Congo n’est pas à Vendre » (CNPAV), des associations de lutte anticorruption ont appelé en vain à « faire toute la transparence » sur « les acteurs et les sociétés impliqués dans la mise en place et le fonctionnement de cette taxe illégale ».

« Aucun Congolais ne sait combien 5C Energy a investi en matériels, et quelle est l’échéance de l’amortissement de ces derniers, mais aussi la durée du contrat. Un flou sciemment entretenu pour saigner la République et dépouiller le peuple par cette petite poignée d’individus à la Présidence de la République », écrivait fin 2021 un media congolais, estimant à au moins 12 millions de dollars les recettes encaissées par 5C Energy. Plusieurs parlementaires ont exigé de recevoir une copie du contrat entre 5C Energy SA et l’ARPTC, se heurtant à un mur. « Les documents de ce genre sont tenus confidentiels. À la suite de cette demande, j’ai eu tous les soucis du monde et un proche conseiller du président Tshisekedi m’a même menacé », déclare à Public Eye le député Claudel Lubaya, qui nous a montré la capture d’écran de ce message au ton intimidant. Cet élu d’opposition à l’Assemblée nationale avait aussi exigé le remboursement des sommes « indûment perçues ».

Car les promesses d’installer des wifi gratuits dans les universités et les lieux publics avec l’argent de la taxe RAM n’ont, selon plusieurs témoignages, jamais été tenues. « Cela n’a fonctionné que le temps de l’annonce faite par le gouvernement », affirme le député Lubaya. Également joint, l’ancien parlementaire Juvenal Munubo, qui a aussi bataillé contre la taxe, parle de « trompe-l’œil ». « Le wifi reste largement inaccessible au large public », regrette-t-il.
Dans un pays miné par la corruption – classé 163e sur 180 États dans l’Indice de perception de la corruption 2024 de Transparency International – les allégations concernant les soutiens supposés de 5C Energy RDC se sont multipliées. Plusieurs voix d’opposition ont accusé le président Tshisekedi et ses proches de profiter de ce scandale financier, ce que ces derniers ont fermement démenti.
« Où est passé l’argent ? C’est un secret d’État », explique à Public Eye l’avocat congolais Hervé Diakese, qui en 2022 avait intenté plusieurs actions en justice au nom de consommateurs et consommatrices, sans résultats.
« Je ne suis pas un voleur, mon régime non plus ! » avait rétorqué le président Félix Tshisekedi, balayant d’un revers de main les accusations.
L’influent Monsieur H.
En plein scandale, la société 5C Energy a continué à étendre son influence. Une enquête de Bloomberg, publiée l’année dernière, rapporte un épisode qui aurait eu lieu à Kinshasa, fin 2021. Ce jour-là, les dirigeants étrangers des quatre principaux opérateurs de téléphonie mobiles en RDC sont convoqués à la résidence présidentielle. On leur annonce une augmentation significative de leur facture fiscale, ce qui provoque quelques remous. Alors que les PDG commencent à protester, « un homme blanc aux cheveux foncés, qui était resté silencieux à l’arrière de la salle, intervient pour leur dire qu’ils feraient mieux de se plier à ces règles », raconte le média américain. Il s’agit de Philippe Heilmann, l’associé de 5C Energy RDC, mandaté par la présidence congolaise pour accompagner cette hausse des impôts qui ne sera finalement pas mise en œuvre.
Personnage discret, Philippe Heilmann a été jusqu’en 2024 administrateur de Dreams of Africa, une entreprise familiale de commerce de gros de diamants et de pierres précieuses fondée 2008. Selon Bloomberg, sa famille a co-fondé la bourse des diamants à Anvers. Les comptes annuels de la société, accessibles en ligne, indiquent que Dreams of Africa, qui ne compte qu’une poignée de salarié·e·s, a vu ses bénéfices exploser entre 2020 et 2023, passant de 10 650 euros à plus de 4 millions, puis redescendant à un peu plus de 2 millions en 2024. L’homme d’affaires est également actif dans le secteur immobilier via une société qu’il a fondée en mars 2024 à Anvers. Selon Africa Intelligence, il serait aussi présent sur le marché de la sécurité. Une société israélienne chargée d’assurer la garde rapprochée du président Félix Tshisekedi et d’entrainer la Garde républicaine aurait remporté ce marché ultra-sensible grâce à son appui.
Enfin, il est intéressant de relever que le frère de Philippe Heilmann est basé à Kinshasa, ayant longtemps travaillé pour Glencore en Suisse, puis en RDC comme directeur commercial entre mars 2020 et octobre 2021, comme l’indique son compte LinkedIn. Une lettre obtenue par Public Eye montre qu’il a été l’organisateur d’une rencontre, en novembre 2020, entre Ivan Glasenberg – alors PDG du géant du négoce de matières premières – et le président congolais Félix Tshisekedi.
Philippe Heilmann n’a pas donné suite aux demandes répétées de Public Eye et n’a pas répondu aux questions que nous lui avons envoyées.
Le beurre et l’argent du beurre ?
Tout aussi discret, son partenaire Jérôme Spaey a longtemps résidé en Angola. Il aurait ensuite mis le cap vers la RDC, décrochant le contrat RAM.
En mars 2022, une fois la taxe mise au rebut, deux consortiums regroupant six sociétés ont remporté à titre provisoire un appel d’offres pour la reconstruction de plusieurs universités congolaises. Détail important : le gouvernement avait annoncé que ces travaux, d’un montant total de 120 millions de dollars, seraient en partie financés par les recettes de la taxe RAM.
Le média en ligne congolais Actualite.cd a révélé que Jérôme Spaey avait des liens indirects avec deux des sociétés de construction (ZS Africa Solutions et SRP Construction) qui ont obtenu le marché et qui auraient par conséquent bénéficié en aval d’une partie de la manne de la taxe RAM.
Public Eye a eu copie de documents partagés par l’ONG PPLAAF, la plateforme de protection lanceurs d’alerte en Afrique, qui permettent de confirmer ces informations.
Sollicité par Public Eye, Jérôme Spaey nous a fait parvenir cette réponse : « Je ne suis pas actionnaire de ZS Africa Solution ni de SRP Construction, et je ne l’ai jamais été, ni directement ni à titre fiduciaire. Je ne les ai jamais dirigées, ni de fait ni de droit, de sorte que je ne suis pas en mesure de m’exprimer sur ces sociétés. »
Plus d'informations
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Une nébuleuse internationale de sociétés
Public Eye a pu retracer les liens indirects entre Jérôme Spaey et les contrats de rénovation des universités congolaises. Le fondateur et actionnaire de SRP Construction (l’entreprise chargée de la rénovation des universités de Mbuji-Mayi et de Kananga) est le partenaire de Jérôme Spaey dans une entreprise de construction en France. Autre coïncidence : l’un des cofondateurs en RDC de ZS Africa Solutions (la société habilitée pour les travaux à Kinshasa de l’Université pédagogique nationale et de l’Institut National du Bâtiment et des Travaux Publics, ainsi que de l’Université de Bunia) est un citoyen israélien, actionnaire aux côtés de Jérôme Spaey d’une entreprise de construction basée en Slovaquie. Le site internet de ZS Africa Solutions citait il y a quelques années, parmi « ses réalisations », des travaux effectués à Luanda entre 2010 et 2015 par la société Jedastruct LDA. Cette mention a depuis été effacée. Or Jérôme Spaey est directeur en Hongrie d’une société qui porte le même nom. Une autre Jedastruct, dont les statuts ont été déposés en RDC en février 2020, existe également, selon des documents consultés par Public Eye. Elle compte deux associés : le Belge et son partenaire Philippe Heilmann.
Epilogue : l’avocat genevois dans le rôle de l’hébergeur en fin de parcours
Une taxe prélevée auprès de la population congolaise, qui aurait généré des millions de dollars jamais comptabilisés ni retracés dans le budget national. Une petite société congolaise, partie d’un groupe basé à Genève, qui obtient sans aucune transparence un contrat de « support technique », en échange de 30 % des recettes. Un tandem d’hommes d’affaires belges qui jongle avec les sociétés et semble avoir ses entrées dans les plus hautes sphères du pouvoir congolais, selon une tradition malheureusement bien ancrée en RDC. Sans oublier des connexions en Suisse.
Car le tableau du scandale RAM ne serait pas complet sans le rôle joué par la florissante industrie helvétique du conseil : ces professionnels qui fournissent des services et des conseils financiers et juridiques sur mesure, mais qui, contrairement aux intermédiaires financiers, ne sont toujours pas assujettis à la loi anti-blanchiment (LBA). Pas d’obligation donc de réaliser des diligences KYC (identification, clarification et compréhension des activités du client) et communiquer leurs éventuels soupçons de blanchiment d’argent.
Depuis son implantation à Genève en 2016, la société 5C Energy a bénéficié de ce type de prestations : d’abord enregistrée par un fiduciaire, puis en fin de parcours domiciliée chez un avocat. Nous avons découvert qu’en octobre 2024, en dépit de la tempête provoquée en RDC par la taxe RAM, un ténor du barreau genevois avait accepté d’héberger à son étude Veltio Solutions SA – la nouvelle appellation de 5C Energy SA depuis mars 2023 – et Jespa Invest Holding SA, une entité actionnaire de Veltio et dont le nom est une contraction de celui de Jérôme Spaey. « Fournir un domicile à une société est une prestation juridique à part entière qui entraîne des obligations. Il ne s’agit pas seulement de mettre à disposition du client une boîte aux lettres, mais aussi de prendre connaissance du courrier et d’y réagir si besoin », explique un avocat qui connaît ce genre de pratiques.

Dans ce cas précis, l’hébergement n’aura duré que quelques mois, juste le temps de fermer boutique. Jérôme Spaey, dont les activités en RDC ont été largement médiatisées et qui réside désormais à Dubaï, a pris ses distances. Il a démissionné de Veltio Solutions SA en février 2024, avec une radiation effective de ses pouvoirs en novembre de la même année. En février 2025, la société était dissoute et mise en liquidation. Jespa Invest Holding SA reste quant à elle toujours domiciliée à l’étude de l’avocat. Sollicité à plusieurs reprises par Public Eye, ce dernier a accusé réception de nos questions, mais n’y a pas donné suite.
Nous avons adressé une quinzaine de questions aux responsables actuels et passés de 5C Energy SA/Veltio Solutions SA. Son administratrice-liquidatrice répond en leurs noms que « 5C Energy SA, basée à Genève, n'a jamais opéré en République démocratique du Congo et n'a perçu aucune rémunération en lien avec le marché obtenu par 5C Energy RDC dans ce pays », ajoutant ne pas être « en mesure, ni légitimés à répondre à des questions qui concernent une autre société, sise dans un autre pays ». Elle ajoute que « Jespa Invest Holding SA (…) comme son nom l'indique, n’a jamais eu d'activités opérationnelles de quelque nature que ce soit où que ce soit dans le monde, étant précisé qu'elle n'a jamais détenu 5C Energy RDC, ni même aucune autre société sise en Afrique. ». De son côté, Jérôme Spaey répond que « s’agissant des activités de 5C ENERGY RDC, je constate que vos questions se fondent en grande partie sur des accusations déjà émises publiquement au Congo et qui sont parfaitement infondées », répétant que « 5C ENERGY SA n’a jamais opéré dans le cadre du RAM et n’a ainsi jamais été rémunérée dans ce contexte. »

Lire notre enquête Congo Hold-up.
