1500 habitants de la Turquie de l’est s’apprêtent à demander l’asile

Zurich, Lausanne, Berlin, Vienne et Ankara, 04.03.2008 - Au moins 1500 habitants de la vallée du Tigre, dans le Sud-est de la Turquie, demanderont l’asile à la Suisse, l’Autriche et l’Allemagne si le grand barrage d’Ilisu est construit. Cet ouvrage inondera totalement leur région. Aujourd’hui, une centaine d’entre eux remettent les lettres de leurs compatriotes aux ambassadeurs des trois gouvernements qui, en 2007, avaient accordé des assurances contre les risques à l’exportation pour ce projet de grand barrage.

Une centaine d’habitants d’Hasankeyf, ville historique de l’Est de la Turquie, a fait le long voyage depuis la vallée du Tigre jusqu’à la capitale Ankara. Ils se rendent aujourd’hui auprès des ambassades suisse, allemande et autrichienne afin de leur remettre des lettres de 1500 habitants de la région qui entendent bien demander l’asile si leur patrie disparaît sous les flots.

Mme Behiye Kepti habite le village de Suçeken, proche d’Hasankeyf, qui est lui aussi menacé de disparition. Selon elle, cette action exceptionnelleest pleinement justifiée: «La Suisse porte un part de responsabilité dans notre destin. Nous allons tout perdre dans le lac de retenue d’Ilisu. C’est à ceux qui nous enlèvent les fondements de notre vie, nos racines et notre histoire qu’il incombe de s’occuper de nous et de se soucier de notre futur.».

Les intéressés s’adressent à la conseillère fédérale Doris Leuthard ainsi qu’aux chanceliers Angela Merkel et Alfred Gusenbauer: «Hasankeyf est notre histoire, notre culture et notre mémoire.» Ils leur demandent de retirer immédiatement leur soutien au projet du barrage d’Ilisu et constatent que la région aurait plutôt besoin d’un appui pour le développement du tourisme et de l’agriculture.

A l’instar de madame Kepti, les 55 000 familles concernées ne croient plus aux promesses de la Direction générale des travaux hydrauliques turque (DSI). Ni d’ailleurs au soutien des gouvernements européens sensés atténuer les conséquences négatives du projet. Aujourd’hui, des milliers de déplacés d’autres barrages tentent de survivre dans les bidonvilles des grandes agglomérations. De plus, les premières expropriations liées au chantier d’Ilisu ont révélé que la DSI a ignoré les exigences de la Suisse et qu’il n’y a pas assez de terres fertiles pour permettre à ces personnes de commencer une nouvelle vie.

Christine Eberlein, de la Déclaration de Berne, le dit clairement: «Les demandes d’asile des intéressés et leurs protestations contre la liquidation unilatérale de leur patrimoine est la conséquence directe de l’implication de la Suisse dans ce projet, à une époque et dans une région politiquement très sensibles.»

En mars 2007, les gouvernements suisse, autrichien et allemand ont accordé des assurances contre les risques à l’exportation aux entreprises impliquées dans la livraison de l’équipement électrique pour le grand barrage. Ils ont ainsi donné le feu vert au financement et à la construction de cet ouvrage controversé, bien que le projet d’Ilisu présente de sérieux manquements aux standards internationaux en matière de déplacements, de protection culturelle et d’écologie. En outre, le lac de retenue, d’une longueur de 150 km, se trouverait en territoire kurde, à la frontière avec la Syrie et l’Irak. Une situation qui prend ainsi une dimension politique inquiétante.