L’association suisse des négociants en matières premières propage des « faits alternatifs », sous le sceau de l’Université de Genève

Publié récemment, le rapport Commodity Trading Monitoring Report est présenté par l’association des négociants STSA comme la « première étude scientifique » sur le secteur suisse des matières premières. L’analyse réalisée par Public Eye montre qu’il s’agit en réalité d’un pur instrument de lobbying visant à améliorer l’image des négociants et à prévenir toute régulation de ce secteur très opaque, qui rechigne toujours à publier des informations fiables.

L'association suisse du négoce de matières premières et du transport maritime (STSA), basée à Genève, n’a pas attendu la publication formelle du rapport pour exploiter ses principaux résultats. Dès novembre 2016, notamment dans le débat autour de la RIE III, elle les a utilisés afin d’exagérer l’importance du secteur pour l’économie helvétique et brandir la sempiternelle menace de délocalisations en cas d’atteinte aux conditions-cadres et de tentative politique de régulation. L’exemple le plus frappant est sans doute l’affirmation pseudo-scientifique selon laquelle le négoce des matières premières emploierait 36 154 personnes, un chiffre 3,5 fois plus élevé que celui présenté par le Conseil fédéral dans son rapport de base de 2013. Ce chiffre, désormais repris par la majorité de la presse romande, a été calculé sur la base d’une liste confidentielle de sociétés, dont bon nombre ne sont pas actives dans le négoce de matières premières. C’est ce que montre notre analyse de ce rapport trompeur et de ses nombreux défauts méthodologiques, à commencer par le taux de réponse très faible des sociétés sollicitées (62 entreprises sur 496 recensées par la STSA).

Public Eye a dressé sa propre liste des sociétés suisses effectivement actives dans le négoce de matières premières. A la différence du lobby, nous publions tous les noms des sociétés que nous avons identifiées. Sur la base des 400 entreprises figurant sur notre liste qui emploient vraiment du personnel, l’Office fédéral de la statistique a calculé 7 594 emplois directs, soit 4,5 fois moins que les chiffres gonflés avancés par la STSA. Si le « Commodity Trading Monitoring Report » porte le sceau de l’Université de Genève, il ne peut en aucun cas être qualifié de « scientifique ». Il n’a pas non plus été réalisé de manière indépendante, puisque l’auteure principale n’est autre que la « responsable RSE » (responsabilité sociale d’entreprise) de la faîtière suisse des négociants. L’analyse statistique, réalisée par des employés de l’Université de Genève, est fondée uniquement sur des données brutes auxquelles ils sont les seuls à avoir eu accès. Le rapport a été publié sur le site internet de l’institut suisse de recherche sur les matières premières (« Swiss Research Institute on Commodities »), qui compte parmi les huit membres de son conseil de fon-dation le secrétaire général de la STSA et le président de l’Association suisse des négociants en café. L’Université de Genève devrait témoigner d’une plus grande vigilance lorsqu’elle engage sa crédibilité académique dans le cadre de partenariats avec des groupes d’intérêts privés.

Ce rapport trompeur, et son utilisation à des fins de lobbying, est d’autant plus choquant que le sondage à l’origine de cette étude a été mené dans le cadre d’un processus multipartite piloté conjointement par le Secrétariat d’État à l'économie (SECO) et le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Ce processus doit aboutir à l’élaboration de lignes directrices pour la mise en œuvre des Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (recommandation 11 du rapport de base sur les matières premières). Le questionnaire de la STSA s’inscrit ainsi dans une démarche de « cartographie » du secteur. Il est incompréhensible que la Confédération ait abandonné à un groupe d’intérêts des tâches essentielles pour la suite du processus. Le résultat scandaleux montre qu’on ne peut pas compter sur la bonne volonté de ce secteur, même lorsqu’il s’agit de recueillir des données. La Confédération devrait obliger les entreprises à collaborer, comme le fait déjà la Banque nationale suisse pour calculer le chiffre d’affaires total du négoce des matières premières.

Plus d’informations sur les affaires troubles du secteur suisse des matières premières ici ou auprès de :

Database Switzerland commodity trading sector