Négociations pour un accord bilatéral de libre-échange AELE-Inde : La société civile indienne est inquiète

Berne, 07.10.2008 - Les négociations officielles pour un accord bilatéral de libre-échange entre l’Inde et les pays de l’AELE ont démarré cette semaine à Delhi. A l’invitation de la Déclaration de Berne et d’Alliance Sud, la communauté de travail des œuvres d’entraide suisses, une délégation de trois personnalités indiennes a fait le voyage inverse pour faire part de leurs inquiétudes aux représentants du gouvernement suisse. Ils ont dénoncé le manque de démocratie, les effets négatifs de ce genre d’accords et leur décalage par rapport à la pauvreté qui affecte la majorité de la population indienne. Pour les délégués de l’administration fédérale, le but des accords bilatéraux de libre-échange n’est pas résoudre les problèmes de pauvreté ; le gouvernement indien ne signera rien qu’il ne considère dans son intérêt.

Ce matin à Berne, s’est déroulée une réunion peu ordinaire regroupant des représentants de la société civile indienne et de l’administration fédérale. Le but de ce face-à-face était de faire entendre la voix des ONG indiennes. Celles-ci sont en effet nombreuses à s’inquiéter des retombées négatives possibles de l’accord bilatéral de libre-échange négocié actuellement entre l’Inde et la Suisse, sur le développement de leur pays. La rencontre a donné lieu à un vif échange de vues. Elle a permis de mettre en lumière plusieurs enjeux économiques et sociaux jusqu’ici peu pris en compte par les négociateurs officiels.

Smitu Kothari, fondateur de l’ONG Intercultural Ressources, a notamment vivement critiqué le déficit démocratique du processus de négociation en Inde. Il a dénoncé le manque de transparence et l’absence de consultation du parlement et des gouvernements régionaux. « Il est essentiel que ces accords intègrent les valeurs fondamentales de justice, de droits humains et de développement durable et prennent en compte les besoins de la grande majorité de la population. Cela ne sera possible qu’avec une participation active de la base », a-t-il souligné.

David Kadam, directeur en Inde de Swissaid, s’est inquiété des conséquences négatives des accords de libre-échange sur l’agriculture, dont dépendent plus de 70% de la population indienne. « On assiste même à une forte augmentation de la pauvreté dans les campagnes, qui pousse au suicide un nombre toujours plus élevés de paysans », a-t-il déclaré.

Gopa Kumar, de l’organisation Third World Network, s’est dit préoccupé par les revendications de la Suisse en matière de propriété intellectuelle. Il craint, entre autres, une détérioration des conditions d’accès aux médicaments et aux semences pour les segments de population les plus vulnérables. «Les droits de propriété intellectuelle devraient être exclus de ce genre d’accords », a-t-il estimé.

L’éclairage critique de la délégation indienne s’est heurté à la position « mercantile » de la Suisse, soucieuse avant tout d’assurer des débouchés à ses entreprises. Pour Maurizio Cerratti, chef-suppléant du secteur Accords de libre-échange/AELE, « les négociateurs suisses ont confiance dans le système démocratique indien et ce n’est leur rôle de se prononcer sur ses procédures internes de décision ». Peter Beyer, de l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle, a ajouté que « en matière de propriété intellectuelle, la Suisse n’a ni la volonté ni les moyens d’imposer ses conditions à un pays comme l’Inde ».

Cette position contraste avec les revendications des ONG suisses et indiennes, qui exigent que les besoins de développement économique et social soient pris en considération dans les négociations bilatérales avec l’Inde. Selon elles, c’est seulement à cette condition que le commerce pourra, à moyen terme, déployer des effets positifs sur la lutte contre la pauvreté.