Le Brésil interdit le paraquat, le lobby se met en ordre de marche

En septembre, le Brésil a rejoint la liste des Etats interdisant le paraquat en raison de sa toxicité aigüe et chronique. L’interdiction entrera en vigueur en 2020, après une période transitoire de trois ans. Mais cette décision pourrait être remise en question si de nouvelles études viennent d’ici-là convaincre les autorités de l’innocuité du produit. Tout porte à croire que lobby agroalimentaire s’active en coulisse pour convaincre les autorités brésiliennes de revenir sur leur décision.

Le 19 septembre, l’Agence brésilienne de surveillance sanitaire (ANVISA) a décidé d’interdire la production, l’importation, la commercialisation et l’utilisation du paraquat. Ce puissant herbicide est déjà interdit dans plus de 50 pays, dont le Suisse et l’Union européenne, en raison de son extrême toxicité. Il cause chaque année des milliers d’empoisonnements, en particulier dans les pays du Sud.

Le Brésil est le premier consommateur mondial de paraquat. Les ventes y sont en hausse, suite à l’apparition de mauvaises herbes résistantes au glyphosate, notamment dans les cultures de soja. L’interdiction du paraquat représente donc un véritable coup dur pour Syngenta, qui réalise plus de la moitié de ses ventes de paraquat au Brésil. Le géant bâlois domine d’ailleurs le marché brésilien des pesticides et y enregistre 2 milliards de ventes chaque année – soit 20 % de son chiffre d’affaires.

Quatre motifs pour une interdiction

En 2008, l’agence brésilienne ANVISA, qui dépend du ministère de la santé, a initié une réévaluation du paraquat en raison de l’existence de nombreuses études démontrant la « toxicité aiguë et chronique » de l’herbicide.

Ses conclusions, présentées en 2015, sont sans appel : le paraquat cause de nombreux cas d’intoxications aigües chaque année, ses liens avec la maladie de Parkinson sont avérés, il provoque des dommages irréversibles au génome et l’utilisation d’équipements de protection ne garantit pas une protection suffisante des travailleurs.

Un lobby omniprésent

Sous la pression du puissant lobby agroindustriel, l'entrée en vigueur de l’interdiction du paraquat a finalement été repoussée à 2020. Les autorités brésiliennes pourraient toutefois reconsidérer leur décision si de nouvelles études prouvant l’innocuité du paraquat, notamment en ce qui concerne son caractère mutagène, venaient à être présentées.

Dans un rapport publié en 2017, l’ANVISA décrit les nombreuses pressions qu’elle a subies suite à la présentation de ses conclusions. Le ministère de l’Agriculture et le « Front parlementaire de l’agriculture » en particulier auraient insisté pour qu’elle revienne sur sa proposition d'interdire le paraquat. De plus, un groupe de travail composé notamment de l’Association des producteurs de pesticides a été formé et a par la suite pris « une part active à toutes les étapes du processus de réévaluation du paraquat » dans le cadre de « rencontres régulières » avec l’ANVISA.

Le Front pour l’agriculture, qui défend les intérêts de l’agro-industrie au parlement, avait fourni une bonne moitié des voix nécessaires à la destitution de Dilma Roussef et la prise de pouvoir de Temer en août 2016. Ce groupe a joué un rôle décisif pour pousser l’ANVISA à revoir ses ambitions à la baisse concernant l’interdiction du paraquat. Il est par ailleurs à l’origine d’un projet de loi visant d’une part à supprimer de la réglementation une disposition qui empêche l’autorisation de pesticides manifestement cancérigènes et mutagènes, et d’autre part à retirer à l’ANVISA une grande partie de ses compétences en matière d’autorisation de mise sur le marché des pesticides, pour les attribuer au ministère de l’Agriculture, dirigé par le très controversé « roi du soja » Blairo Maggi.

Syngenta optimiste

Dans sa réaction à la décision de l’ANVISA, Syngenta se montre très optimiste, affirmant que l’ANVISA aurait « décidé de continuer à autoriser les produits phytosanitaires contenant du paraquat pour les trois prochaines années, pendant lesquelles des mesures supplémentaires d'atténuation des risques pourront être mises en œuvre et de nouvelles études pourront être réalisées pour prouver l’innocuité du produit pour les travailleurs agricoles ».

Tout porte donc à croire que Syngenta s’active déjà en coulisse et mettra tout en œuvre au cours des trois prochaines années pour convaincre les autorités brésiliennes de revenir sur cette interdiction.

Une année difficile pour le paraquat

La bataille ne fait que commencer au Brésil. La décision des autorités brésiliennes vient couronner une année déjà très difficile pour le paraquat, puisque la Chine, le Vietnam et la Thaïlande ont également annoncé une interdiction du pesticide.

Estimé à 1 milliard en 2016, le marché mondial du paraquat est dominé par Syngenta, qui détiendrait 40 % des parts de marché, selon différentes sources. Or les ventes d’herbicides non sélectifs du géant bâlois - principalement le paraquat et le glyphosate – sont en chute libre depuis quelques années. S’élevant encore à près de 1,5 milliards en 2014, elles n’atteignaient plus que 770 millions l’année dernière, soit une chute de 50 % des ventes en trois ans seulement.

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