Le lait en poudre enfreint le code

Vingt-trois ans après l’adoption par l‘OMS du code sur la commercialisation des substituts du lait maternel, Nestlé continue d’être pointée du doigt pour ses pratiques commerciales irrégulières. Première de la branche, l’entreprise est également celle qui enfreint le plus souvent le code. Etat des lieux.

En 1974, la brochure The baby Killer de l’ONG anglaise War on Want dévoilait la stratégie commerciale des multinationales de l’alimentation pour bébé, en particulier celle de Nestlé. La publicité abusive et la présence massive des laits en poudre dans les milieux hospitaliers y étaient dénoncées comme des attaques dangereuses contre l’allaitement et la santé des enfants. Reprise en Suisse par le “Groupe de travail Tiers-monde de Berne” (association proche de la DB) la brochure, renommée Nestlé tötet Babys, a donné lieu à un procès intenté par la firme veveysanne pour diffamation. Alors que les auteurs étaient condamnés à une amende symbolique de 300 Frs, le scandale déclencha un mouvement international de boycott des produits Nestlé. Le terrain était alors propice à l’adoption par l’OMS, en 1981, d’un code sur la commercialisation des aliments pour nourrissons.

Se référant au Code et aux résolutions subséquentes de l’Assemblée mondiale de la santé, le réseau international des groupes d’action pour l’alimentation infantile (IBFAN) surveille la commercialisation des substituts du lait maternel. Publié en mai 2004, leur dernier rapport de surveillance Breaking the rules, streching the rules analyse les stratégies publicitaires de 16 entreprises transnationales spécialisées dans la nourriture pour bébés entre janvier 2002 et avril 2004, et ce dans 69 pays. Le rapport confirme que les transgressions au Code sont systématiques et répandues, contrairement à ce que clament les porte-parole de l’industrie alimentaire. 2 000 violations du Code ont été répertoriées.

La première place pour Nestlé
Nestlé, le premier producteur de nutrition infantile (il contrôle 40% du marché mondial) occupe également la première place du classement des infractions au Code. La multinationale basée à Vevey obtient le plus haut score de transgressions parmi les 16 entreprises surveillées, et contrevient aux principales dispositions du Code. Sur les 73 pages répertoriant les mauvaises pratiques, 15 lui sont entièrement consacrées. La seconde position est occupée par l’entreprise hollandaise Numico, suivie par la firme américaine Mead Johnson.

Examinons quelques-unes des infractions commises par Nestlé. L’article 5.1 du Code international interdit la publicité et toute autre forme de promotion des substituts du lait maternel auprès du grand public. Les articles 5.2 et 5.4, quant à eux, interdisent la distribution d’échantillons et de cadeaux aux mères. Mais Nestlé continue de faire une large publicité.

Quant aux pratiques promotionnelles dans les établissements médicaux, la résolution 47.5 (1994) de l’Assemblée mondiale de la santé demande aux multinationales de ne plus distribuer d’échantillons de lait en poudre, par le biais des hôpitaux et cliniques. De telles pratiques créent en effet une dépendance à ces produits qui, fournis par les institutions de la santé, reçoivent ainsi implicitement l’aval médical. Dans ce domaine non plus, Nestlé ne respecte pas les recommandations internationales.

L’offre de cadeaux promotionnels aux professionnels de la santé, qui tend à influencer leurs décisions, est également proscrite par le Code. L’article 7.3 stipule que toute incitation matérielle ou financière à promouvoir les substituts doit être bannie. Pour renforcer cet article, la résolution 49.15 (1996) de l’Assemblée mondiale de la santé souligne les conflits d’intérêts que les aides financières peuvent créer chez les professionnels. Là encore, Nestlé continue à puiser dans son budget marketing pour financer ce genre de pratiques.

Interprétations discutables du Code
Comment expliquer que Nestlé, dans toutes ses communications publiques, dit se conformer au Code et accuse même les groupes de surveillance, tels que IBFAN, de faire des allégations injustifiées ? La réponse est relativement simple. Les pratiques de Nestlé sont guidées par les instructions internes de l’entreprise. Présentées comme l’interprétation correcte du Code, ces instructions ne couvrent cependant pas la totalité des dispositions de l’OMS, comme le mentionne le responsable juridique de la section nutrition de Unicef. La multinationale estime, par exemple, que le Code est destiné uniquement aux pays en voie de développement et s’applique au seul lait en poudre. Le Code et les résolutions subséquentes sont pourtant clairement destinés à l’ensemble de la planète et couvrent tous les produits de substitution au lait maternel.
Pourquoi Nestlé continue-t-elle ses activités commerciales illégales, alors qu’elle sait pertinemment que 1.5 million d’enfants de moins d’un an meurent chaque année parce qu’ils ne sont pas nourris au sein? Pourquoi continue-t-elle des pratiques qui transgressent le Code, et qui minent le recours à l’allaitement, élément pourtant essentiel dans la santé de l’enfant? La réponse est le profit et les milliards de francs versés dans les coffres de la compagnie. Mais aucune somme d’argent ne peut justifier une telle perte de vies.

Lida Lhotska, IBFAN-GIFA
Adaptation: Tanja Guggenbühl

Pour d’autres exemples sur les violations commises par Nestlé, consulter le site d’IBFAN, aux pages consacrées au Code international: www.ibfan.org/french/codew00-fr.html.