Propriété intellectuelle: déséquilibre persistant

L'accord sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) est un des accords les plus critiquables de l'OMC. Il oblige tous les membres de l’organisation à garantir des règles «minimales» de propriété intellectuelle (protection des brevets, des droits d'auteur, des marques, etc.). Cette obligation compromet, entre autres, la libre utilisation des semences pour les paysans et freine l’accès aux nouveaux médicaments.

La question des médicaments est révélatrice. L'accord ADPIC oblige tous les Etats à accorder des brevets d'une durée de 20 ans sur les nouveaux médicaments. En outre les pays industrialisés (dont la Suisse) ont demandé aux pays en développement d'aller au-delà de cet accord. En novembre 2001, la conférence ministérielle de l’OMC à Doha a fait mine de freiner ses pressions. Elle a adopté une déclaration qui reconnaissait que l'Accord ADPIC «ne devrait pas empêcher les Membres de l'OMC de prendre des mesures pour protéger la santé publique». Cette clarification a permis à des pays comme la Malaisie ou l'Indonésie de recourir à des licences obligatoires, c’est-à-dire de se procurer des médicaments génériques sans avoir besoin de l’accord des détenteurs des brevets. Ils ont ainsi pu disposer de médicaments nettement meilleur marché que les originaux.

Il restait alors à trouver une solution à plus long terme pour les pays qui n’ont pas d’industrie pharmaceutique. En août 2003, un compromis a été trouvé pour permettre à ces pays de faire produire sous licence obligatoire des médicaments génériques à l'étranger. Mais la procédure mise en place est lourde et compliquée (lire Solidaire 173). De fait, ce compromis n’a toujours pas débouché sur un amendement de l'Accord ADPIC. Les pays africains demandent une simplification de la procédure, ce que refusent les pays industrialisés qui veulent des clauses supplémentaires. Il n'est pas encore clair si cette question sera résolue à Hongkong.

Interview

Jonathan Berger, juriste sud-africain au Aids Law Project, se bat pour l'accès aux médicaments anti-sida dans son pays. Il explique les revendications africaines.

Dix ans après son adoption, quel bilan tirez-vous de l'Accord ADPIC?
L'accord ADPIC a définitivement rendu l'accès aux médicaments plus difficile, mais pas impossible. S'il existait une réelle volonté politique (aussi dans les pays en développement), la compréhension post-Doha de l'Accord ADPIC pourrait fonctionner. Mais une telle volonté manque. Elle a peu de chance d'apparaître dans un contexte où les Etats-Unis exigent des pays en développement qu’ils protégent encore davantage les brevets que ce que demande l’accord ADPIC.

Les droits des détenteurs de brevets et ceux des patients sont-ils équilibrés?
Non. L'équilibre devrait être trouvé au niveau de chaque Etat, non au niveau international. Le droit international du commerce ne devrait pas établir des standards minimaux de protection des brevets. Le pire côté de l'Accord ADPIC, c'est que les plus démunis (comme les pays sans industrie pharmaceutique) sont ceux qui ont le moins de chance d'avoir accès aux médicaments génériques bon marché.

La Déclaration de Doha de 2001 est-elle suffisante?
Une révision de l'Accord ADPIC reste nécessaire pour se débarrasser des restrictions aux exportations de médicaments sous licence obligatoire (au lieu d'avoir un mécanisme compliqué) et pour traiter d'autres aspects de l'Accord ADPIC. La Déclaration de Doha a aidé, mais elle ne pouvait aller trop loin. Comme premier pas, l'Accord ADPIC devrait être amendé pour déplacer l'équilibre en faveur de l'accès aux médicaments.

Entretien réalisé par Julien Reinhard le 27 septembre 2005.