Commerce de charbon: l’angle mort de la politique climatique suisse

Le charbon est la source d’énergie la plus polluante au monde. Pourtant, jamais il n’aura été autant extrait et consommé qu’en 2022. Dans un rapport exclusif, Public Eye raconte comment la Suisse est devenue la plaque tournante mondiale du charbon. Six années d’hypocrisie ont passé depuis l’Accord de Paris, durant lesquelles les banques suisses ont prêté plus de trois milliards de dollars aux rois helvétiques du charbon. Alors que la Conférence sur les changements climatiques a débuté à Charm el-Cheikh, la Suisse doit assumer ses responsabilités de «dealer de CO2» et organiser un véritable plan de sortie du lucratif business du charbon.

Sortie de la pandémie, guerre en Ukraine, désordre sur les marchés énergétiques : tout semble bénéficier au charbon. Cette renaissance de la plus polluante des sources d’énergie profite directement à la Suisse, comme le révèle un rapport de Public Eye, fruit d’une année de recherche. Avec la financiarisation et l’internationalisation du marché du charbon, la Confédération a tiré son épingle du jeu, accueillant de grands groupes miniers dès le début des années 2000 et donnant naissance à un écosystème de la suie entre Zoug, Genève et Lugano. Notre pays compte aujourd’hui 245 sociétés actives dans le charbon. Et 40% du charbon mondial est négocié depuis la Suisse, selon nos estimations. Les sociétés minières qui y ont installé leur siège ou une branche commerciale extraient ensemble plus de 536 millions de tonnes de charbon par an. Soit, en comptabilisant les émissions liées à l’extraction, au transport et à la transformation en électricité, près de 5,4 milliards de tonnes de CO2 rejetées dans l’atmosphère. C’est plus que les émissions des États-Unis. 

Depuis que la Suisse a signé l’Accord de Paris en 2015, ses banques ont prêté 3,15 milliards de dollars US à l’industrie helvétique du charbon, selon les données du cabinet néerlandais Profundo. Credit Suisse a fourni plus de la moitié de ces fonds, à des sociétés comme Trafigura, Glencore ou les extracteurs russes Sibanthracite et SUEK. À noter aussi la participation de banques cantonales (Zurich, Vaud et Genève), dont l’actionnariat public inviterait pourtant à davantage de respect pour les engagements politiques de la Confédération. Face à la pression environnementaliste, de nouvelles stratégies ont été mises en place : les critères d’exclusion définis par les banques sont taillés de telle sorte que les grands groupes diversifiés passent à travers les mailles des promesses climatiques. Aucun des engagements pris par les banques suisses analysées par Public Eye n’exclurait, par exemple, un financement des activités de Glencore liées au charbon. Le financement se fait par ailleurs plus discret, notamment via des lignes de crédit non contraignantes ou des «underwritings», un instrument permettant de ne pas faire figurer le charbon au bilan comptable. Entre 2016 et septembre 2022, le secteur suisse du charbon a obtenu des banques un total de 72,9 milliards de dollars au niveau international.   

Le dérèglement climatique et la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine montrent à quel point il est urgent de sortir de notre dépendance aux énergies fossiles. Par sa position dominante dans le secteur du charbon, la Suisse dispose d’un levier de politique climatique et d'une responsabilité pour la sécurité énergétique mondiale. En 2021, lors de la Conférence sur le climat de Glasgow, les États se sont prononcés en faveur d’une réduction progressive du charbon au niveau mondial. La Suisse s’est même engagée en faveur d’une sortie totale. Mais à ce jour, sa politique climatique ne tient absolument pas compte du commerce du charbon. Dans une pétition, Public Eye demande au Conseil fédéral et au Parlement de prendre des mesures pour un abandon complet de ce business climaticide d’ici à 2030. Face à l’urgence climatique, la Suisse ne peut plus se contenter de miser sur les promesses en l’air faites par des multinationales qui ne cherchent qu’à jouer la montre pour préserver leurs profits.  

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Adrià Budry Carbó, enquêteur matières premières, +41 78 738 64 48, adria.budrycarbo@publiceye.ch 

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