En Suisse, le négoce de matières premières demeurera opaque

Hier, la Commission juridique du Conseil national (CAJ-N) a écarté une disposition «anti-corruption» applicable au commerce des matières premières. Pourtant, de nouvelles affaires illustrent les risques que pose ce secteur. L’OCDE a d’ailleurs lancé un avertissement à la Suisse, tandis que certains négociants prennent les devants reconnaissant eux-mêmes la nécessité de prendre des mesures.
© Illustration: Public Eye

Comme Public Eye l'a révélé mercredi, le Ministère public de la Confédération continue d’approfondir ses enquêtes sur Gunvor, l'un des plus grands négociants en matières premières. Après s’être intéressées à des contrats pétroliers en République du Congo, les autorités judiciaires portent désormais aussi leur attention sur des activités suspectes en Côte d'Ivoire. La firme genevoise a réagi à la pression le jour même en annonçant qu'elle s’engageait à divulguer les paiements effectués lors de l’achat des matières premières auprès des gouvernements. Avec ce premier pas modeste mais positif, le groupe pétrolier suit l'exemple de Trafigura. Ces deux sociétés prouvent ainsi que la transparence ne pose aucun problème en terme de concurrence.

Cette mesure répond à une demande de longue date du réseau international d'ONG « Publiez ce que vous payez » (représenté en Suisse par SWISSAID et Public Eye) et faisait l'objet des motions débattues hier au sein de la CAJ-N. Un comité composé de 15 spécialistes de la lutte contre la corruption a adressé une lettre ouverte à la Commission.

Malheureusement, cette action n’a pas eu l’effet souhaité : une majorité veut s'appuyer sur la proposition-alibi du Conseil fédéral qui, d'après notre analyse détaillée de 544 entreprises actives dans les matières premières, ne conduirait qu'à une plus grande transparence pour 4 à 14 entreprises. Dès lors, les gouvernements des pays producteurs de ressources naturelles continueront de percevoir des milliards de la part des négociants suisses dans la plus grande opacité. Les citoyens de ces pays ne seront toujours pas en mesure de connaître la valeur de leur propre richesse.

En raison des risques de corruption particulièrement élevés dans le commerce des matières premières, l'OCDE a demandé fin mars à la Suisse d'agir :

Le commerce des matières premières […] devrait faire l'objet d'une régulation adaptée et contraignante.

Cinq ans après le rapport du Conseil fédéral sur les matières premières, les autorités refusent d’agir. Les enjeux sont pourtant énormes : entre 2011 et 2013, les négociants suisses de matières premières ont versé 55 milliards de dollars aux dix principaux pays producteurs de pétrole africains (rapport « Big Spenders », 2014).

Il appartient maintenant au Conseil national de ne pas fermer les yeux sur cette réalité et d'approuver les propositions minoritaires qui ont été faites à ce sujet au sein de la commission (Flach, Mazzone). Ces démarches permettraient de s'assurer que les richesses issues des matières premières bénéficient effectivement aux populations locales des pays les plus pauvres. Hier, la CAJ-N a à tout le moins reconnu la nécessité d’agir dans le domaine des droits de l'homme.

Plus d'informations sur la transparence des paiements ici ou auprès de :

  • Marc Guéniat, responsable enquête de Public Eye, 021 620 03 02 
  • Jon Andrea Florin, membre de la direction de SWISSAID, 078 624 47 47 93