Équateur: Gunvor ou la corruption «mode d’emploi» sur le marché pétrolier

Sur la base de nouveaux documents, l’enquête de Public Eye raconte comment Gunvor a mis en place une trame de corruption sophistiquée pour faire main basse sur le pétrole brut équatorien. Une manœuvre qui lui a permis d’encaisser 384 millions de dollars de profits illicites sur une décennie. La maison de négoce genevoise a été condamnée, le 1er mars dernier, par la justice étasunienne et suisse, mais ses cadres n’ont pour l’heure pas été inquiétés. L’un d’eux est pourtant intervenu directement auprès de Petroecuador pour faciliter les contrats pétroliers.

Pétrole, violence et corruption. C’est le contexte équatorien dans lequel a opéré Gunvor pendant une décennie. Étranglé par le manque de capitaux, ayant juré de se passer des multinationales du pétrole, l’Équateur, emmené par Rafael Correa, s’est tourné dès 2009 vers des sociétés d’État asiatiques afin d’obtenir de larges prêts, à rembourser sur de futures livraisons de brut. Or, ces contrats ont en réalité été orchestrés par Gunvor – ainsi que par les négociants genevois Vitol et Trafigura – qui a ainsi pu mettre la main sur le pétrole sans passer par des appels d’offres et empocher une belle plus-value à la revente dans des raffineries péruviennes ou étasuniennes. Soit exactement ce que le pays bolivarien entendait éviter. 

La dernière enquête de Public Eye se lit comme un mode d’emploi à l’usage des sociétés pétrolières peu scrupuleuses. Sur la base de documents inédits, nous montrons comment les hauts fonctionnaires de Petroecuador conversaient sans tabou de la répartition des commissions illicites de Gunvor distribuées par deux frères équato-espagnols. Ces intermédiaires, qui ont plaidé coupables aux États-Unis, ont touché, entre 2013 et 2020, plus de 91 millions de dollars de Gunvor pour leurs services. Jonglant avec les sociétés offshores et les comptes en banque dans plusieurs pays, dont un compte à l’UBS Zurich, ils se sont chargés de corrompre un haut cadre de Petroecuador, qui a reçu près de 7, 5 millions de dollars, en partie depuis la Suisse, selon l’ordonnance pénale que nous avons pu consulter. Le département compliance de Gunvor a ignoré les «red flag» jusqu’en mai 2020, date à laquelle la relation d’affaires a été interrompue. 

Notre enquête révèle qu’un haut cadre de Gunvor est intervenu auprès de la compagnie nationale Petroecuador pour lui recommander de travailler avec PTT International Trading. Or, dans le cadre de l’accord de reconnaissance de culpabilité passé avec la justice étasunienne et suisse, le 1er mars 2024, cette petite société singapourienne a été identifiée comme un front, un paravent utilisé par le trader pour contourner les procédures d’appel d’offres et faciliter ainsi la corruption. Interrogé par Public Eye, Gunvor indique que «le ministère de la Justice n'a jamais déclaré que [ce haut cadre] était ou avait été une cible de son enquête» et «qu’aucun des individus mentionnés par la justice étasunienne ne travaille actuellement pour Gunvor».

Le cas de l’Équateur est emblématique de la malédiction des ressources. Pour le pays, les contrats de préfinancement et la mainmise de Gunvor ont été désastreux. Pour rembourser ses 18,47 milliards de dollars de prêts entre 2009 et 2016, les gouvernements successifs ont été contraints de forer toujours profond en Amazonie en quête de brut, au détriment de la population équatorienne.

Plus d’informations ici ou auprès de: 

Adrià Budry Carbó, enquêteur matières premières, +41787386448,  adria.budrycarbo@publiceye.ch 

Géraldine Viret, responsable médias, +417685692, geraldine.viret@publiceye.ch