Fonds Obiang: les lenteurs inacceptables de la justice suisse

Lausanne/Zurich, le 11 février 2015 - Il aura fallu près de trois ans au Ministère public de la Confédération (MPC) pour donner suite à une commission rogatoire de la justice française enquêtant sur des détournements d’argent public en Guinée équatoriale. Malgré le rôle central de la Suisse dans cette affaire, l’organe fédéral d’investigation n’a par ailleurs pas jugé opportun d’ouvrir sa propre instruction sur les fonds qui ont transité par cinq sociétés basées à Fribourg, ou à l’encontre des intermédiaires ayant mis sur pied les structures permettant le détournement de ces sommes. Ce manque flagrant de célérité et de diligence laisse douter de la réelle volonté du MPC de lutter efficacement contre la criminalité économique, même lorsque celle-ci est le fait de potentats violents et corrompus menant un train de vie extravagant aux dépens d’une population prisonnière de l’extrême pauvreté.

Comme l’a révélé Mediapart*, Teodoro Obiang Nguema, le fils du président de la Guinée équatoriale, était l’unique actionnaire de cinq sociétés écran domiciliées dans le canton de Fribourg. Ces firmes ont permis de dissimuler l’achat, pour 25 millions d’euros, d’un hôtel particulier de 4000m2 dans l’une des avenues les plus huppées de Paris. Cette transaction a été supervisée par Peter & Python, un cabinet d’avocats renommé basé à Genève. Maître Python certifie que la transaction ne présentait «rien qui pouvait nous alerter sur quoi que ce soit». Teodorin, ainsi qu’il est surnommé, gagnerait pourtant 80'000 dollars par an, selon les chiffres officiels. Les intermédiaires suisses qui ont permis le détournement de ces fonds n’ont pas été inquiétés par la justice helvétique. Il a fallu plusieurs mois pour que celle-ci perquisitionne les locaux des sociétés concernées et près de trois ans pour qu’elle transmette aux enquêteurs français les informations récoltées

Ce dossier s’inscrit dans le cadre de l’affaire dite des «Biens mal acquis», qui s’intéresse également aux clans des présidents congolais et gabonais. De l’argent a également transité par la Suisse dans le cas congolais, au moins. Dans le sillage de la justice française, le MPC ouvrira-t-il une procédure à l’encontre des intermédiaires helvétiques qui, comme dans l’affaire guinéenne, ont permis le détournement de sommes colossales à Brazzaville, au profit d’une élite ultra-corrompue ?

La Suisse ne doit pas continuer à être ce qu’elle a été durant des décennies: un refuge pour kleptocrates désireux de dissimuler l’argent volé à l’Etat qu’ils sont censés servir. Les révélations récentes sur les pratiques d’HSBC Private Bank, dans le cadre des «Swiss Leaks», montrent à quel point ce type de pratiques étaient répandues. Or, jusqu’à présent, rien ne laisse penser que la justice suisse s’y intéressera. Elle semble avoir d’autres priorités: plutôt que de poursuivre les potentats ou de sanctionner les intermédiaires leur offrant les montages financiers permettant de dissimuler des avoirs illicites, elle préfère s’acharner contre le messager, l’informaticien Hervé Falciani. Les sanctions pénales doivent correspondre à la gravité du crime, y compris à l’encontre des intermédiaires financiers qui acceptent de donner au vol une apparence de légalité, au mépris des devoirs de diligence auxquels ils sont astreints. Seule la crainte de sanctions proportionnées dissuadera les intermédiaires financiers helvétiques d’utiliser la Suisse pour dissimuler des avoirs illicites.

* voir également l’article publié dans Le Temps du 11.02.2015.

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