Renforcer les contrôles dans le négoce des matières premières ? Un avis de droit préconise une autorité de surveillance

La Commission de politique extérieure du Conseil national (CPE-N) s’est prononcée hier en faveur d'un réexamen de l’application des sanctions contre la Russie dans le secteur des matières premières. La pratique actuelle, qui mise sur le volontariat, est insuffisante et met en danger la réputation de la Suisse. La guerre en Ukraine, alimentée par les énergies fossiles russes, a encore massivement augmenté les risques que représente ce secteur opaque, pourtant reconnus de longue date par le Conseil fédéral. Un avis de droit estime en outre qu’un cadre législatif en Suisse, assorti d’une autorité de surveillance spécifique, serait non seulement possible, mais aussi attendu et nécessaire.

Dans un postulat déposé hier, la CPE-N demande au Conseil fédéral de rédiger un rapport montrant « comment les sanctions contre la Russie dans le secteur des matières premières sont actuellement respectées et où subsistent des lacunes ». Il doit en outre expliquer quelles mesures supplémentaires pourraient être prises pour renforcer leur application et les contrôles. Accroître la transparence dans le négoce de matières premières est essentiel pour que la Suisse ne répète pas les erreurs commises dans le secteur financier. Pour cela, il est impératif d’établir des bases législatives solides ainsi que de créer une autorité de surveillance spécifique à ce secteur, la ROHMA, tel que proposé par Public Eye depuis bientôt dix ans. C’est également ce que demandent deux interventions parlementaires déposées par les Vert∙e∙s et le PS, encore pendantes au Conseil national.  

Les risques politiques liés à la place suisse du négoce de matières premières sont pourtant connus depuis plus d’une décennie. L’initiative pour des multinationales responsables a permis de mettre à l’agenda politique les fréquentes violations de droits humains et atteintes à l’environnement commises par le géant zougois Glencore et consorts. Plusieurs scandales de corruption impliquant des sociétés suisses de négoce ont par ailleurs été révélés ces dernières années, aboutissant même, dans certains cas, à des condamnations, y compris par des tribunaux helvétiques. Et depuis plusieurs mois, la Suisse est vivement critiquée, sur la scène internationale, pour sa mise en œuvre laxiste des sanctions à l’encontre de la Russie. Mais en dépit de ces nouveaux enjeux, le Parlement a raté, en juin 2022, l’occasion d’établir des garde-fous juridiques efficaces pour encadrer ce secteur à haut risque. Le Conseil fédéral s’obstine lui aussi à choisir l’inaction, comme en témoigne son dernier rapport sur les matières premières, qui est un véritable aveu d’impuissance.

Dans ce contexte, un avis de droit commandé par Public Eye et rédigé par Katia Villard, professeure associée au Département de droit pénal de l’Université de Genève, constate que «le cadre juridique suisse contraignant spécifiquement dédié au secteur des matières premières est quasiment inexistant». Elle estime qu’il est aujourd’hui nécessaire d’établir un tel cadre, «centré sur des mesures de vigilance en matière de respect des droits humains, d’impact environnemental et de lutte contre la corruption, et dont une autorité étatique de surveillance serait chargée de contrôler la bonne application». En 2014, Public Eye a esquissé pour la première fois les contours d’une telle régulation en Suisse, en proposant la création de la ROHMA. Cette autorité de surveillance spécifique permettrait aussi de renforcer la mise en œuvre des sanctions contre le commerce de matières premières russes. Le Conseil fédéral doit agir pour que la Suisse ne soit pas critiquée par les États du G7 pour son refus d’encadrer le négoce des matières premières, après avoir été épinglée pour sa mise en œuvre laxiste des sanctions à l’encontre des oligarques.

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