Le nouveau rapport du Conseil fédéral sur les matières premières est un aveu d’impuissance

Depuis le début de la guerre en Ukraine, la place suisse de négoce de matières premières est plus que jamais sur le devant de la scène, ici comme à l’étranger. Ce secteur contribue désormais à hauteur de 10% au PIB helvétique, dépassant pour la première fois la place financière. Dans ce contexte, le dernier rapport du Conseil fédéral sur les matières premières est un aveu d’impuissance d’autant plus embarrassant. Plutôt que d’adopter des mesures efficaces pour empêcher le contournement des sanctions ou établir un impôt spécial sur les bénéfices extraordinaires enregistrés par les négociants en période de crise, comme l’ont fait l’Union européenne et le Royaume-Uni, la Suisse continue de faire cavalier seul. Par ailleurs, elle refuse toujours d’établir une autorité de surveillance pour ce secteur coutumier des scandales à répétition.

Dans sa première analyse publiée il y a dix ans, le Conseil fédéral reconnaissait les risques élevés que le secteur suisse des matières premières représente en termes de corruption, d’évasion fiscale, de violations de droits humains et d’atteintes à l’environnement, mais les objectifs fixés manquaient cruellement d’ambition. Les rapports de suivi se sont avérés tout aussi complaisants. Dans le rapport publié aujourd’hui, le Conseil fédéral conclut même que la mise en œuvre de ses propres recommandations est «bien avancée, et même achevée dans certains cas», ne prévoyant une prochaine mouture qu’en 2026. Au vu des faibles objectifs fixés, cela n’est pas surprenant.

Cette approche est toutefois cynique et dangereuse au vu des données extrêmement lacunaires dont disposent les autorités helvétiques ainsi que des risques mis en évidence par la guerre menée par la Russie en Ukraine, massivement financée par les énergies fossiles russes. Le Conseil fédéral a lui-même reconnu, en juin 2022, qu’il ne dispose pas de chiffres fiables sur des aspects importants tels que le poids économique du secteur en Suisse ou les matières premières négociées, et a annoncé vouloir collecter des données. Pourtant, son nouveau rapport ne dit pas un mot à ce sujet. Près d’un an après cette annonce, on ignore toujours la manière dont cette lacune sera comblée, et dans quel délai. Le Parlement et les départements compétents risquent par conséquent de continuer à prendre des décisions à l’aveugle.

Cette situation est la conséquence d’une volonté politique, comme le montre l’approche du Conseil fédéral et de l’administration vis-à-vis des sanctions contre les matières premières russes, notamment le pétrole. Car contrairement à ce qui se passe dans l’Union européenne, aux États-Unis et au Royaume-Uni, le Secrétariat d’État à l'économie (SECO) n’impose aucune directive aux négociants, et ne prévoit aucun contrôle pour vérifier s’ils respectent l’embargo. L’office fédéral a d’ailleurs confirmé ne pas mener d’audits ni imposer d’obligation de documenter les transactions, comptant sur la bonne volonté du secteur pour s’autoréguler. Et ce, malgré les éléments indiquant que les sanctions sont contournées via la Suisse.

Un constat s’impose: ni le Conseil fédéral ni le Parlement ne veut surveiller de manière adéquate le secteur à haut risque du négoce de matières premières. Au vu de son importance économique croissante, c’est incompréhensible et dangereux. Selon les données de la Banque nationale suisse concernant la valeur du commerce de transit – dont le négoce de matières premières constitue l’essentiel – ce dernier représentait en 2022 plus de 10% du PIB de la Suisse, dépassant ainsi pour la première fois la place financière (8,9%). Établir une autorité de surveillance spécifique est plus que jamais essentiel afin de prévenir efficacement les risques et accroître la transparence.

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