Genève, paradis du pétrole

Les noms de Gunvor, Litasco ou Vitol ne vous disent rien? Et pourtant. Confortablement installées sur les rives genevoises du Léman, ces sociétés actives principalement dans le négoce du pétrole profitent d'un climat fiscal extrêmement favorable pour engranger toujours plus de bénéfices.
© Déclaration de Berne

Selon les chiffres publiés par la Geneva Trading and Shipping Association (GTSA), l’organisation faîtière du secteur à Genève, la Cité de Calvin serait devenue la principale place au niveau mondial pour le pétrole, les céréales, les oléagineux, le café et le sucre. On compterait dans l’Arc lémanique entre 400 et 500 sociétés liées au négoce des matières premières.

L’or noir coule à flot
L'essor récent de la Cité de Calvin dans le commerce mondial de pétrole s’explique en premier lieu par l’arrivée à Genève, à la fin des années 1990, de firmes spécialisées dans le négoce d'or noir en provenance des pays de l’Est. Les relations de confiance établies dès les années 1980 entre les producteurs de pétrole soviétiques et les intermédiaires basés au bout du lac, ainsi que la présence des organisations internationales facilitant les contacts avec les représentants politiques de nombreux pays, ont joué un rôle décisif dans cet avénement.

Peu connues jusqu'à récemment au-delà des cercles d’initiés, des sociétés telles que que Litasco, Mercuria, Vitol ou encore Gunvor dominent aujourd’hui le très lucratif business du pétrole au niveau mondial. A tel point que selon la GTSA, la part de Genève dans les transactions globales de pétrole brut serait désormais de 35%. Les traders genevois commercialisent en outre 75% du pétrole russe et plus de 50% du brut kazakh.

Le négoce des matières premières agricoles est également important à Genève, où les multinationales Cargill, Bunge et Louis Dreyfus ont pignon sur rue. Le géant américain ADM s’est quant à lui installé à Rolle, dans le canton de Vaud. Ce quatuor domine le négoce mondial de céréales, d’oléagineux, de sucre, de café et d’agrocarburants.


Genève, havre fiscal pour les négociants
Les sociétés de trading ne se sont pas installées au bout du lac par hasard. Elles y bénéficient notamment d’un régime fiscal particulièrement avantageux, accordé aux sociétés «auxiliaires», le nom donné à Genève aux sociétés mixtes ou de domicile. Les sociétés auxiliaires ne s’acquittent que d’un impôt total (communal, cantonal et fédéral) sur les bénéfices de 12% en moyenne, soit environ la moitié du taux appliqué à une société ordinaire. Pour jouir de ce statut, une majorité des revenus de l’entreprise (de 70 à 80% selon la marge de tolérance des autorités fiscales) doit être réalisée à l’étranger. Une condition centrale aisément remplie par les négociants.

L’Administration fiscale cantonale genevoise reste évasive sur les chiffres liés à ce statut privilégié. Elle se contente de reconnaître que les sociétés de négoce, de par la nature même de leurs activités, bénéficient généralement de ce régime favorable. Alors que l’UE demande sa suppression, le secteur du négoce genevois reste confiant, tant le soutien politique du Conseil d’Etat semble infaillible.

En septembre 2010, le ministre Vert des Finances, David Hiler, rappelait que «le Conseil d’Etat [genevois] est déterminé à ce que ces sociétés restent à Genève et prendra les mesures nécessaires en cas d’accord entre la Suisse et l’UE, en adaptant la fiscalité cantonale (…).» Il s’agirait donc de procéder à une importante baisse des taux d’imposition pour les sociétés ordinaires et à une légère hausse pour les sociétés auxiliaires, afin qu’il n’y ait plus d’écart entre elles. Selon les estimations réalisées dans le cadre d’un projet de réforme, ces ajustements engendreraient des pertes fiscales allant jusqu’à 1 milliard de francs pour le canton et les communes.