Mr. Rupert, be nice to workers!
Florian Blumer, 19 septembre 2025
Cher Monsieur Rupert,
Tout d’abord, je tiens à vous remercier. Vous vous souvenez certainement que mercredi dernier, dans la salle de l'hôtel Intercontinental à Genève, j'ai pris la parole durant l'assemblée générale de Richemont pour demander à la direction et au conseil d'administration de trouver une solution au conflit social chez Montblanc. Merci d'y avoir répondu personnellement. Je me réjouis aussi que vous ayez déclaré lire nos textes et apprécier notre travail.
J'ai été d’autant plus surpris d’entendre que vous nous reprochiez de diffuser «des opinions plutôt que des faits». Je regrette aussi que vous n’ayez ni abordé le cœur du problème ni accédé à nos demandes. Nous sommes en effet convaincus qu'il est essentiel, pour les travailleurs exploités, qu’une solution soit rapidement trouvée. Et que ce serait aussi dans l'intérêt de votre entreprise.
Des faits bien documentés
Vous l'avez dit vous-même lors de l’assemblée générale : il y a des problèmes dans la production en Italie. Ils sont bien documentés. C’est un modèle d’affaires très répandu: contraindre des ouvriers migrants, qui n’ont guère d’autre alternative, à travailler douze heures par jour, six ou sept jours par semaine, pour un salaire horaire d'environ trois euros. L’entreprise «Z Production», un fournisseur direct de votre filiale « Pelletteria Richemont » située dans la zone industrielle de Florence, impose de telles conditions, comme nous l’avons documenté.

C’est un fait: aucun audit réalisé par Richemont n’avait mis au jour ces conditions d'exploitation chez votre fournisseur. Quant aux manquements observés, comme l‘absence de système électronique de pointage, ils n’ont pas été suivis de mesures.
Par ailleurs, de telles conditions d’exploitation ont également été constatées dans une autre usine qui fournissait Montblanc, comme l’a révélé un reportage en caméra cachée de la chaîne de télévision Al-Jazeera, diffusé à l'automne 2024.
Vous n'étiez pas au courant?
Lors de l’AG, vous avez de nouveau présenté votre version des faits: selon vous, Richemont aurait résilié son contrat avec «Z Production» parce que l’entreprise avait, sans autorisation, recouru à des sous-traitants, et s’était montrée peu coopérative.
Vous avez affirmé que cette décision n'avait rien à voir avec l’accord signé trois semaines plus tôt entre la direction de l’usine et 13 employés, qui mettait fin à l’exploitation, en leur garantissant des conditions de travail légales et des salaires décents.
Nous ne pouvons pas vérifier vos dires. Nous avons néanmoins du mal à imaginer que «Pelletteria Richemont», votre filiale locale et donneuse d’ordre directe de «Z Production», n'ait pas eu connaissance des semaines de grève menées par les employé·e·s et le syndicat local Sudd Cobas, qui ont finalement abouti à la régularisation des conditions de travail des 13 ouvriers.
Si vous souhaitez réellement lutter contre les problèmes dans la production en Italie, dont vous dites avoir connaissance, ne serait-il pas essentiel de collaborer avec des syndicats comme Sudd Cobas? De prendre au sérieux les signalements d’abus sur votre chaîne d'approvisionnement et de rechercher ensemble des solutions pour les employé·e·s concerné·e·s, au lieu de poursuivre les représentant·e·s syndicaux en justice?
«We’re nice to people», avez-vous déclaré lors de l'assemblée générale. Chez Richemont, on traite bien ses employé·e·s. Les anciens ouvriers de «Z Production» comme Ali Hassan et Asghar Muhammad – qui se sont rendus à Genève la semaine dernière pour attirer l'attention des actionnaires et des médias sur leur situation – ne méritaient-ils pas aussi d’être respectés?
Pendant des années, ils ont produit des accessoires Montblanc dans des conditions d'exploitation. Puis, lorsqu'ils ont enfin obtenu des conditions de travail dignes, ils ont appris que Richemont avait résilié le contrat de leur employeur, ce qui leur a fait perdre leur emploi.
Ne pensez-vous pas que Richemont a la responsabilité de veiller à ce qu’ils retrouvent un emploi dans la chaîne d'approvisionnement du groupe et qu’ils soient dédommagés pour le préjudice subi?
Faites ce qui est juste!
Lors de l'assemblée générale, vous avez déclaré que Richemont est un groupe qui montre l'exemple en matière de responsabilité. Prouvez-le par des actes! Allez à la rencontre des travailleurs et du syndicat. Faites ce qui est juste!
Assurez-vous aussi que votre filiale à Florence effectue des contrôles réguliers chez ses fournisseurs pour identifier les cas d'exploitation, afin que les travailleurs à l’avenir n'aient pas à subir le même sort qu'Ali Hassan et Asghar Muhammad.
Un premier pas dans cette direction serait de publier le nom des entreprises qui produisent les sacs et autres accessoires en cuir de Richemont en Toscane. Après tout, le site web de Richemont indique: «Notre groupe repose sur une culture de la transparence et de l'intégrité à laquelle nous contribuons tous par nos actions quotidiennes, individuellement et collectivement.»
Je me réjouis de votre réponse.
Meilleures salutations,
Florian Blumer

«Les sacs de luxe rendent votre vie plus agréable, vous font rêver et montrent à vos voisins que vous allez bien.» (Karl Lagerfeld)
Florian Blumer est journaliste de formation et travaille depuis deux ans chez Public Eye en tant que reporter et chercheur.
Contact: florian.blumer@publiceye.ch
Ce texte est une traduction de la version originale en allemand.