Le manque de transparence

Sur la base des informations publiées par Swissmedic, il est impossible de savoir quels essais cliniques sont à l’origine de l’homologation d’un médicament en Suisse. Ce manque de transparence est néfaste en termes de santé publique et pour les personnes qui participent à ces essais.

Alors que les résultats des tests de médicaments effectués sur des personnes volontaires devraient, en toute logique, être restitués à la société, les sociétés pharmaceutiques affirment que ces données leur appartiennent. Ainsi, la moitié des essais cliniques menés dans le monde ne sont jamais publiés, et les résultats défavorables sont dissimulés ou enjolivés. Cette publication sélective conduit à la commercialisation ou au maintien sur le marché de médicaments pouvant s’avérer plus dangereux que bénéfiques, comme le montre les cas emblématiques du Vioxx et du Tamiflu. 

© David Jordan

Le cas Vioxx 

En septembre 2004, Merck a annoncé le retrait de son produit contre l’arthrose Vioxx, en raison d’un risque important de complications cardiovasculaires. Or, l’agence états-unienne du médicament (FDA) avait identifié, en 2001 déjà, que le Vioxx provoquait cinq fois plus d’infarctus qu’un anti-inflammatoire concurrent, sans pour autant suspendre son autorisation. Un risque accru par ailleurs confirmé par plusieurs rapports d’essais cliniques, dont certains n’ont pas été publiés immédiatement. Malgré ces résultats, Merck a multiplié les démarches auprès des médecins pour minimiser le problème. Bilan: plus de 100 000 arrêts cardiaques et 10 000 décès rien qu’aux États-Unis, qui auraient pu être évités si les résultats avaient été publiés plus tôt.

Tamiflu ou le virus du profit

La décision des gouvernements du monde entier, dont la Suisse, de stocker l’antiviral Tamiflu de Roche en prévision de pandémies grippales reposait sur des études individuelles dont huit sur dix n’ont jamais été publiées. D’autres résultats d’essais cliniques n’ont jamais été mis en avant par le géant bâlois. Il aura fallu quatre ans d’insistance et une campagne publique orchestrée par le British Medical Journal pour que des chercheurs indépendants du réseau Cochrane aient enfin accès, en 2013, à l’ensemble des données relatives aux essais cliniques menés par Roche sur le Tamiflu.

Pour la première fois, ces chercheurs ont ainsi pu évaluer l’efficacité et la toxicité réelle du médicament antigrippal du géant pharmaceutique bâlois sur la base d’une documentation exhaustive. Les constats de cette évaluation, publiés en avril 2014, sont clairs: contrairement aux affirmations de Roche, la prise de Tamiflu ne diminue pas le nombre d’hospitalisations ni le risque de complications sérieuses en cas de grippe. Tout au plus, les patients voient-ils la durée des symptômes grippaux diminuer de quelques heures. Le Tamiflu n’interrompt pas non plus la transmission du virus.

Or, ce sont précisément ces arguments qui avaient incité l’OMS à recommander aux États ainsi qu’aux grandes entreprises le stockage en masse de l’antiviral lors des crises successives de la grippe aviaire H5N1 (dès 2004) et de la pandémie liée au H1N1 en 2009. Ces fausses promesses ont fait sonner le tiroir-caisse de la firme bâloise. Depuis le lancement du Tamiflu en 1999, Roche a engrangé plus de 18 milliards de francs, principalement sur le dos des contribuables.

Secret industriel ou bien public?

Les rapports d’essais cliniques doivent permettre de juger de l’efficacité et de la sécurité du produit testé. Contrairement aux arguments avancés par les labos pharmaceutiques, les secrets entourant la composition du médicament et sa fabrication ne sont en aucun cas menacés. Saisi sur la question, le médiateur européen l’a d’ailleurs confirmé en 2010 déjà: les rapports d’essais ne contiennent aucune information qui relève du secret industriel. Ils sont par ailleurs rendus anonymes, et leur diffusion, à quelques rares exceptions près, ne permet pas d’identifier les participants.

L’UE montre la voie

Face au phénomène de publication sélective, les autorités régulatrices sont à la fois complices et impuissantes, car financièrement dépendantes des labos pharmaceutiques. Mais certaines ont tout de même décidé d’agir. L’Agence européenne du médicament (EMA) a ainsi annoncé vouloir publier, dès 2010, l’intégralité des rapports d’essais cliniques en sa possession à la base de décisions d’homologation.

L’EMA procède ainsi depuis 2015 à la publication proactive des rapports d’essais cliniques servant de base aux décisions d’homologations et/ou ayant fait l’objet d’une demande spécifique de publication par des groupes de chercheurs. Seuls regrets : cette mesure ne s’applique pas rétroactivement sur les médicaments en circulation, et les informations jugées confidentielles (secret d’affaires) sont caviardées sur demande de la société pharmaceutique concernée.

Ce sursaut de transparence, dont Swissmedic pourrait s’inspirer, est un pas dans la bonne direction, même si sa mise en œuvre est encore semée d’embûches du fait du fort lobby exercé par l’industrie pharmaceutique à l'encontre de cette politique.

© Mark Henley/Panos

L’Union européenne a également pris des mesures concrètes au niveau politique. En 2014, elle a adopté un nouveau règlement exigeant la publication de tous les rapports d’essais cliniques servant de base aux homologations de médicaments, que la décision soit positive ou négative. Le règlement européen a par ailleurs confirmé que le secret industriel et la confidentialité des participants – des arguments chers aux entreprises pharmaceutiques – ne pouvaient pas être invoqués pour empêcher la publication de ces rapports. Le nouveau règlement entrera en vigueur dès que la base de données sera opérationnelle.

La Suisse est en retard en matière de transparence des données cliniques, mais elle a fait un premier pas dans le cadre de la révision de sa loi sur les produits thérapeutiques (LPTh), dont l’entrée en vigueur est prévue a priori en 2019. Celle-ci prévoit en effet un nouvel article sur la publication des résultats de tests de médicaments servant à l’octroi de l’autorisation de mise sur le marché en Suisse (art. 67b). Même si l’étendue et les modalités de la publication doivent encore être précisées dans le cadre de la révision des ordonnances, un tel article constitue une première base légale pour lutter contre la publication sélective prévalant dans le secteur. Outre la possibilité d’une contre-expertise scientifique indépendante, la publication intégrale des rapports d’essais cliniques permettrait aux médecins de disposer d’une base de comparaison plus solide et plus fiable au moment de prescrire un traitement à leurs patients.

Les registres d’essais cliniques

Il existe une multitude de bases de données d’essais cliniques. Les plus complètes sont celles des gouvernements états-unien (ClinicalTrials.gov) et européen (Clinicaltrialsregister.eu) ainsi que de l'OMS (apps.who.int/trialsearch), mais aucune n’est exhaustive, puisqu’il n’existe pas d’obligation d’enregistrer les essais cliniques sur un plan international. La décision, prise en 2004 par les revues médicales les plus prestigieuses, d’exiger l’enregistrement des études avant toute publication a fait augmenter drastiquement le nombre d’entrées, mais la règle est contournable. Par ailleurs, ces registres ne comprennent qu’un résumé des essais cliniques, insuffisant pour analyser les aspects scientifiques et éthiques de l’étude.

Avec l’entrée en vigueur de la loi relative à la recherche sur l’être humain (LRH) en 2014, la Suisse a également mis en place son propre registre public (www.kofam.ch), mais il ne concerne que les essais cliniques menés en Suisse et ne contient que des informations minimales. Selon l’OMS, l’enregistrement de tous les essais cliniques est une responsabilité scientifique, éthique et morale. Dans une prise de position d’avril 2015, l’OMS appelle à ce que tous les résultats soit rendus publiques et accessibles dans les 12 mois suivant la fin d’un essai clinique, qu’ils soient positifs ou négatifs.