Après le Congo, la justice suisse scrute les activités douteuses de Gunvor en Côte d’Ivoire

Face au Ministère public de la Confédération, le négociant doit maintenant justifier l’obtention, en Côte d’Ivoire, d’une cargaison de pétrole brut dans le cadre d’un appel d’offres entaché d’irrégularités. Pour rafler la mise, Gunvor s’est une fois encore alloué les services d’un intermédiaire sulfureux. Cette nouvelle affaire illustre la nécessité de réguler le négoce des matières premières, tel que l’a recommandé l’OCDE dans sa récente évaluation du dispositif suisse de lutte contre la corruption. Demain, le Conseil national a l’opportunité d’améliorer la transparence de ce secteur à haut risque.

Directement visé par une enquête pour corruption depuis mai 2017 en lien avec ses activités au Congo-Brazzaville, Gunvor est aussi sous la loupe du MPC en raison d’un contrat pétrolier en Côte d’Ivoire. Cette opération, réalisée en mars 2014, a été pilotée par la filiale à Dubaï du groupe. La justice suisse examine des courriels, des lettres, des contrats et des virements bancaires, dont Public Eye révèle la teneur dans le dernier numéro de son magazine.

Le 10 janvier 2014, la compagnie pétrolière étatique de Côte d’Ivoire, la Petroci, annonce au négociant qu’il est « adjudicataire » d’un cargo de brut à enlever en mars. Mais le 4 novembre 2013, soit deux mois avant l’ouverture de l’appel d’offres, un cadre de Gunvor écrivait à la Petroci : « Nous comprenons que le prochain cargo […] est alloué à la société Gunvor, ce dont nous vous remercions ». Cette chronologie met en doute l’intégrité de la procédure, même si la firme soutient que celle-ci a été conforme aux usages. La société admet toutefois des dysfonctionnements : « Les comportements décrits dans ces correspondances ne satisfont pas les attentes et les standards de Gunvor. »

Pour obtenir ce cargo, Gunvor a déployé d’intenses efforts de lobbying auprès des autorités, y compris du ministre de l’Intérieur, dont les prérogatives n’ont aucun rapport avec les hydrocarbures. Le négociant a aussi rémunéré, comme consultant, une société sans référence dans le monde du pétrole. Derrière deux hommes de paille se cache le sulfureux Olivier Bazin, également impliqué dans les affaires congolaises de Gunvor. La firme avait pourtant prétendu une année plus tôt avoir cessé toute relation avec cet intermédiaire au passé pénal chargé, au motif qu’il « n’avait pas passé le test de compliance ». Olivier Bazin s’était aussi illustré durant le printemps 2014. Lors d’une réunion filmée en caméra cachée, révélée par Public Eye en septembre dernier, il accompagnait un cadre de Gunvor, qui proposait un pacte corruptif à un tiers dans l’espoir de reconquérir le marché congolais.

Ces pratiques illustrent les risques liés au négoce des matières premières. Dans son rapport d’évaluation de la Suisse sur la mise en œuvre de la Convention sur la lutte contre la corruption, publié en mars, l’OCDE souligne que « les risques de corruption sont particulièrement élevés dans ce secteur du fait des acteurs impliqués […], des gains potentiels très élevés, de l'opacité entourant les ventes elles-mêmes et de l'absence de règlements spécifiques ou de normes internationales. » L’instance multilatérale recommande à la Suisse de soumettre le secteur à « une régulation adaptée et contraignante ».

En matière de blanchiment d’argent, les négociants déclarent être assujettis à la supervision indirecte des banques qui financent leurs activités. Sceptique, le Conseil des États vient d’adopter à juste titre un postulat d’Anne Seydoux-Christe (PDC/JU) demandant au Conseil fédéral d’examiner cette question. Le Conseil national a quant à lui l’opportunité d’améliorer la transparence de ces opérations commerciales. Dans le cadre de la révision du droit de la société anonyme, la Commission des affaires juridiques décidera, le 19 avril, si les négociants devront divulguer leurs paiements aux gouvernements pour l’achat de matières premières.

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Marc Guéniat, responsable enquêtes, 021 620 03 02, marc.gueniat@publiceye.ch