Pétrole russe: la Suisse ne peut pas compter sur les sanctions volontaires de ses négociants

Les négociants domiciliés en Suisse entretiennent des relations d’affaires privilégiées avec la Russie. Les recherches de Public Eye montrent que, malgré la pression internationale, ils restent aujourd’hui les plus gros acheteurs de pétrole russe. En février et mars, Litasco, Vitol, Trafigura et Cie ont levé pas moins de 80,5 millions de barils par voie maritime, destinés à la Turquie, l’Inde ou au Sud de l’Europe. Première place mondiale du négoce de matières premières russes, la Suisse doit se mobiliser pour l’adoption de sanctions contre le pétrole, carburant de la guerre d’agression menée par Poutine. Et établir enfin une autorité de surveillance pour ce secteur à haut risque.

Depuis l’invasion de l’Ukraine, le 24 février, le commerce pétrolier est loin de s’être tari pour la Russie, qui est parvenue à rediriger ses flux afin de pallier l’embargo sur les importations étasuniennes et la réticence des pays européens. Des données de courtiers maritimes en mains de Public Eye pour février et mars montrent que le deuxième exportateur mondial de pétrole peut toujours compter sur les grandes maisons de négoce basées en Suisse, même si celles-ci ont condamné publiquement la guerre contre l’Ukraine menée par Vladimir Poutine et ses conséquences dramatiques.   

En tête du classement des plus gros acheteurs de pétrole russe: la société genevoise Litasco, bras commerçant du premier producteur privé russe Lukoil, qui a levé, selon les estimations, pas moins de 3,36 millions de tonnes de pétrole russe, soit quelque 24,6 millions de barils ou 41 tankers Aframax. Suivent les négociants Vitol et Trafigura (17,2 millions et 12,8 millions de barils). Après le début de la guerre, les volumes de Trafigura semblent même avoir augmenté. Au total, les négociants helvétiques ont expédié pas moins de 80,5 millions de barils de pétrole russe depuis les ports de Mer noire, d’Extrême Orient ou du golfe de Finlande. S’ils disent se contenter d’honorer des contrats préexistants à l’invasion, Trafigura, Vitol et Glencore ne se sont pas privés d’en conclure de nouveaux fin 2021. N’aurait-il pas fallu faire preuve de plus de diligence raisonnable alors que les troupes russes étaient déjà stationnées le long de la frontière ukrainienne? 

Si ce commerce n’est pour l’heure pas illégal, il n’en est pas moins illégitime et dangereux car les ventes de pétrole et de gaz, qui ont permis la modernisation de l’armée russe, continuent d’alimenter le trésor de guerre de Poutine. Elles représentent une manne de 200 milliards de dollars US par an. En 2021, le budget de la Russie dépendait à 36% de ces exportations, davantage encore aujourd’hui au vu de l’explosion des cours et de la ruine de son économie. Or 50 à 60% du brut russe est négocié depuis la Suisse, selon les estimations de Public Eye. Et les fleurons du négoce helvétiques sont de longue date des partenaires stratégiques du Kremlin, comme le montre notre analyse de ces liaisons dangereuses qui s’épanouissent depuis le tournant du millénaire, avec l’appui des banques helvétiques. Le ministre de l’Economie Guy Parmelin a beau marteler que «la critique à l’encontre du négoce de matières premières est injuste», la Suisse pourrait bientôt voir cette bombe à retardement réputationnelle lui exploser à la figure.    

Face à l’hypocrisie des négociants, les autorités helvétiques doivent se mobiliser auprès de l’Union européenne pour que les sanctions soient étendues à l’importation et au commerce de pétrole russe. La Suisse doit par ailleurs établir une autorité de surveillance spécifique afin de garantir enfin davantage de transparence et de diligence dans le secteur des matières premières. En créant la Rohma, Public Eye a décrit de manière détaillée à quoi une telle régulation pourrait ressembler. Cette autorité aurait notamment pour tâche de garantir que les matières premières négociées ne proviennent pas de pays sous sanctions internationales ou de zones de conflit.

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