Accords ADPIC de l'OMC - Accès aux génériques sous pression

L’année 2005 marque une étape dans l'extension des règles de l'OMC en matière de brevets. L'Inde, un des plus grands producteurs de génériques, doit désormais s'y conformer. L'accès aux médicaments dans les pays pauvres sera rendu plus difficile. Or, l’industrie pharmaceutique demande encore une plus grande protection pour ses brevets. La DB poursuit sa résistance.

Le 1er janvier 2005, l'Inde a modifié sa loi sur les brevets concernant les substances pharmaceutiques. Elle avait jusqu'au 31 décembre 2004 pour mettre sa législation en conformité avec l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle (Adpic) de l'OMC. Ce changement ferme une voie d'accès rapide aux génériques. Jusqu'à la fin de l’année passée, seuls les procédés de fabrication des médicaments étaient protégés, non les produits eux-mêmes. Cela permettait aux pharmas indiennes de mettre sans délai sur le marché des copies bon marché de nouveaux médicaments brevetés en Europe, aux Etats-Unis et au Japon. Dorénavant, ce sera impossible.

La source indienne se tarit

L’impact sera considérable sur l’accès aux médicaments dans les pays pauvres. L'Inde est, avec la Chine (qui a rendu sa législation conforme à l'accord Adpic en 2002), une des principales sources de génériques bon marché. L'industrie pharmaceutique indienne produit 20% des médicaments vendus dans le monde, pour une valeur correspondant à 1,5% du marché mondial (soit moins que le chiffre d'affaires 2004 de Novartis ou Roche). C'est la concurrence des génériques indiens qui a provoqué la récente chute des prix des antirétroviraux de première ligne (le traitement le plus courant est ainsi passé de plus de 10 000 à 150 dollars par patient et par année entre 2001 et 2004). Le frein mis à la production de génériques posera donc un problème crucial pour les futurs médicaments contre le sida.

Cette affaire montre également à quel point la démocratie est bridée par les accords de l'OMC. Les pays industrialisés, dont la Suisse1, ont fait pression sur le Gouvernement indien pour qu'il modifie sa loi sur les brevets avant la fin de 2004. Préférant respecter ce délai plutôt que d'entamer une discussion au Parlement, le Gouvernement a adopté des amendements par ordonnance le 26 décembre 2004. Le Parlement indien a néanmoins six mois pour les confirmer. De nombreux groupes de la société civile indienne considèrent que certains amendements vont au-delà de l'accord Adpic et demandent leur révision.

Négociations enlisées à l'OMC

Dans ce contexte, la marge de manoeuvre que l'accord Adpic laisse encore aux Etats prend toute son importance. L'instrument le plus puissant est la licence obligatoire. Elle permet à un Etat de briser sur son territoire le monopole du détenteur d'un brevet sur un médicament en autorisant d'autres entreprises à le produire. Le 30 août 2003, les Etats membres de l'OMC s'étaient entendus pour permettre aux pays qui n'ont pas d'industrie pharmaceutique (c'est-à-dire la majorité des pays en développement) d'importer sans entraves des génériques produits sous licences obligatoires, ce que l'accord Adpic empêchait. La DB a regretté que le mécanisme mis en place soit lourd et compliqué, rendant possible de nombreux blocages. Elle le juge inapproprié pour faciliter un accès rapide et efficace aux médicaments (lire Solidaire 172).

Dix-huit mois après cette décision, les membres de l'OMC n'ont pas réussi à transformer le compromis en un amendement formel à l’accord Adpic. Ils se sont engagés à y parvenir d’ici à la fin mars2. Une proposition des pays africains, en novembre 2004, a été repoussée par les pays industrialisés dont la Suisse. Motif: elle n’empêche pas suffisamment le détournement des médicaments. Une fois encore la défense des intérêts des multinationales pharmaceutiques a prévalu. La DB a écrit au Conseil fédéral pour lui demander de donner la priorité à la santé publique des pays pauvres.

Modification des lois nationales

Sans attendre la rédaction finale de l’amendement à l’accord Adpic, les Etats ont commencé à modifier leur législation nationale selon la décision du 30 août 2003. Le Canada a ouvert la marche en mai 2004, non sans introduire des chicanes supplémentaires. L'Inde a suivi dans l'ordonnance de décembre 2004. Les pays de l'Union européenne sont en train de le faire. En Suisse, un nouvel article de la loi suisse sur les brevets a été proposé dans le cadre de la révision de la loi en cours. La DB a pris position sur ce texte dans le cadre de la consultation qui s'est achevée en octobre 2004. Elle demande des améliorations du projet. Si la DB salue l'inclusion des vaccins dans la liste des produits couverts, elle s'oppose à la volonté du Conseil fédéral de restreindre l’usage de génériques produits en Suisse aux seules épidémies graves (lire notre prise de position sur www.ladb.ch).

Toujours plus d'accords bilatéraux

Les Etats-Unis, l'Union européenne et les autres pays industrialisés veulent renforcer la protection des brevets dans le monde. La Suisse n’est pas en reste. Le rapport de politique extérieure publié en janvier 2005 annonce ouvertement que la Suisse cherchera à élever le niveau de protection de la propriété intellectuelle chez ses partenaires commerciaux au dessus des standards de l'accord Adpic. On retrouve cette intention dans les accords bilatéraux que notre pays négocie avec les pays en développement (voir Solidaire 177). En décembre 2004, la Suisse a signé un nouvel accord de libre-échange avec la Tunisie.
La DB s'oppose à cette évolution. Sous son impulsion, 58 organisations d’Afrique australe et d’Europe ont signé, en novembre 2004, une lettre aux ministres des Affaires étrangères de l'AELE pour leur demander d'exclure la propriété intellectuelle de l'accord en négociation avec les pays de l'Union douanière d'Afrique australe (Afrique du Sud, Botswana, Lesotho, Namibie, Swaziland). La réponse reçue de Berne est insatisfaisante: la Suisse souhaite tenir compte du fait que cette union douanière comprend un pays dit moins avancé (le Lesotho), mais elle défend ses exigences en matière de propriété intellectuelle sur les médicaments. La DB a répondu par lettre à cet entêtement d'autant plus grave que d'autres accords bilatéraux sont annoncés avec l'Egypte et la Thaïlande.

Julien Reinhard

notes
1) Le 7 décembre, une délégation suisse emmenée par le chef des relations économiques bilatérales (seco), Jörg Reding, a rencontré le ministre du Commerce et de l'Industrie Kamal Nath. Elle a prôné un renforcement des brevets en Inde (Communiqué de presse du gouvernement indien, 7 décembre 2004).
2) Cet article a été terminé le 15 février 2005.