La libéralisation des services, une menace pour la démocratie?

Dans le cadre de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS), les Etats peuvent choisir quels secteurs de services ils ouvrent aux investisseurs étrangers. Mais l’AGCS vise à libéraliser progressivement un nombre croissant de secteurs. Tous les services (éducation, santé, approvisionnement en eau, énergie, télécommunications, audiovisuel, culture, etc.) sont donc potentiellement concernés. De plus, une fois qu’un pays a pris des engagements dans un secteur, il ne peut revenir en arrière qu’en libéralisant en échange d’autres services jugés équivalents par les autres pays membres.

En Suisse, un nombre croissant de communes se déclarent symboliquement «zones hors AGCS». Elles manifestent ainsi leur volonté de garder un droit de décision local sur la gestion des services publics en particulier.
Les services publics sont bel et bien un enjeu important des négociations. Mais ils ne sont pas les seuls. La Suisse fait ainsi pression pour que les pays en développement ouvrent leurs services financiers (ce qui garantirait un accès à ces marchés pour les banques et assurances suisses) et leur secteur touristique.

L’exemple du tourisme: témoignage indien
Le tourisme a déjà été fortement dérégulé à la suite de l’ouverture des marchés auxquels les pays en développement avaient consenti en 1994. Alors que les conséquences de cette première vague de libéralisation n’ont jamais été évaluées, on attend des pays en développement qu’ils poursuivent la libéralisation de ce secteur.
K.T. Suresh a longtemps travaillé pour Equations, une ONG indienne qui promeut un tourisme équitable impliquant les populations hôtes. Lors d’un symposium de l’Organisation mondiale du tourisme en mars 2004, il expliquait les conséquences de l’AGCS: son témoignage éclaire les mécanismes généraux de cet accord.
"Les décideurs politiques de certains pays en développement méconnaissent le secteur touristique. Cela explique les lacunes des réglementations existantes et leur non-respect.
A Goa par exemple, destination touristique réputée sur la côte ouest de l’Inde, le tourisme a été développé au-delà de ce que la région peut écologiquement supporter. L’accès à l’eau potable et aux plages a souvent été la source de conflits entre les besoins des touristes et ceux de la population. L’industrie touristique a régulièrement enfreint les réglementations de la construction dans les régions côtières. Le découpage des zones sont en outre ambiguës. Ces réglementations devraient donc être à la fois appliquées et renforcées, en tenant compte des spécificités régionales – le tourisme étant concentré, en Inde, dans des zones écologiquement sensibles."
"Or, l’AGCS a des effets inverses: il rend obligatoire l’accès aux marchés, centralise les prises de décisions et crée un cadre dérégulé pour les fournisseurs de services. Si un Etat s’engage à libéraliser le tourisme, toute réglementation nationale ou régionale dans ce secteur (visant à protéger l’environnement, à créer des emplois locaux ou à favoriser des entreprises locales) peut être considérée comme une «barrière au commerce». Le gouvernement incriminé aurait alors la difficile tâche de prouver que ces régulations sont nécessaires.
De plus, si un gouvernement veut introduire de nouvelles législations environnementales ou résilier une concession accordée à une entreprise touristique étrangère, il doit dédommager l’entreprise concernée, mais aussi tous les partenaires commerciaux potentiellement affectés par les opportunités touristiques perdues. Cela empêche les gouvernements locaux d’exercer leurs droits démocratiques."