Les principales critiques envers l'ACTA

A ce jour, la Suisse n’a pas signé l'ACTA. Au niveau de l’Union européenne, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Estonie, la Slovaquie et Chypre n’ont pas signé non plus (les 22 autres Etats membres l’ont fait fin janvier 2012). Plusieurs pays ayant signé l'accord ont par la suite exprimé leur volonté de geler la procédure de ratification nationale. Le Parlement européen, qui doit ratifier l’accord avant son entrée en vigueur, est également très divisé sur la question. Au Mexique, l’un des deux pays du Sud ayant pris part aux négociations, le Parlement intime le gouvernement mexicain de ne pas signer l’ACTA.

Présentation détaillée des principales réticences:

  • Plusieurs analyses sérieuses, en provenance du milieu académique notamment, montrent que, malgré les améliorations apportées au texte au fil des négociations, l’ACTA aura un impact sur les droits fondamentaux et la protection des données dans le domaine d’Internet. Par rapport à l’ADPIC, les experts s’inquiètent aussi du déséquilibre entre le renforcement de l’application des droits (en faveur des titulaires) et l’affaiblissement des exceptions et limitations (en faveur des utilisateurs), notamment dans le domaine des droits d’auteurs. L’ACTA renforce ainsi les normes internationales en matière de propriété intellectuelle, au-delà de l’ADPIC. Ces experts recommandent aux autorités de ne pas signer l’ACTA tant que ces doutes ne sont pas levés.
  • Aux Etats-Unis, la procédure de ratification prévue court-circuite le Congrès, posant ainsi un problème constitutionnel.
  • Dans un rapport de mai 2011, le rapporteur des Nations-Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’expression et d’opinion, Frank La Rue, demande aux gouvernements de ne pas rendre responsable les prestataires de services d’Internet pour les infractions aux droits d’auteur commises par les utilisateurs. Pour lui, agir ainsi contreviendrait à la liberté d’expression. Or, d’après l’ONG La Quadrature du Net, «en appliquant une pression légale et financière sur les fournisseurs d’accès (d’une façon beaucoup plus subtile que dans les précédentes versions), l’ACTA donnera à l’industrie du divertissement une arme les forçant à faire la police de leurs réseaux et des activités de leurs utilisateurs. De telles polices et justices privées du Net sont incompatibles avec les impératifs démocratiques et représentent une menace pour les libertés fondamentales».
  • La question de l’application des mesures relevant du droit pénal fait encore l’objet de débats politiques intenses au niveau européen, des analystes estimant que ces dispositions outrepassent l’acquis communautaire (contrairement à ce qu’affirme la Commission européenne). Le Parlement européen - et, plus surprenant, la Commission européenne, pourtant partie prenante aux négociations – ont soumis une requête à la Cour européenne de justice pour vérifier la compatibilité d’ACTA avec les Traités européens. La procédure est encore en cours. D’autre part, selon leur Constitution, le volet sur les sanctions pénales devra être ratifié par les Parlements nationaux de certains Etats membres avant de l’être au niveau de l’UE. Que se passera-t-il si un Etat membre ne ratifie pas ce volet? Probablement une belle cacophonie politique au sein de l’UE.
  • Si, au fil des négociations, certaines dispositions controversées ont été formulées de manière moins contraignante («may» au lieu de «shall»), elles n’ont pas disparu et peuvent continuer à agir comme une incitation politique internationale à les mettre en oeuvre dans la législation des parties aux négociations. Du fait des polémiques et retouches successives, des experts estiment qu’une partie importante du texte est devenu vague et sujet à interprétation, voire ambigu sur le plan juridique. Pour en comprendre le sens exact, il faudrait disposer de tous les documents de préparation. Or, les négociations ont été tenues secrètes. A l’exception de deux versions provisoires rendues public en avril et en septembre 2010 – et de plusieurs versions «fuitées» – la plupart des documents n’ont pas été divulgués.
  • Deux études commanditées par le Parlement européen, concernant l’impact de l’ACTA sur les droits fondamentaux et sur l’accès aux médicaments, ont souligné les répercussions négatives de cet accord, qui outrepasse la législation européenne en vigueur et viole les droits humains
  • Le danger de saisies erronées de lots de médicaments génériques légaux en transit n’est pas totalement écarté, malgré l’exclusion des brevets du champ d’application des mesures à la frontière. Des saisies pourront en effet continuer à se faire ex-officio par des douaniers non avertis sur la base de supposées violations du droit des marques (comme en mai 2009, en Allemagne), intentionnellement ou non.
  • L’ACTA établit de nouvelles normes internationales en matière d’application de droits de propriété intellectuelle qui, outre le fait qu’elles aient été négociées au sein d’un club fermé de pays , risquent d’être imposées par la Suisse ou l’AELE aux pays en développement dans le cadre de futures négociations d’accords bilatéraux de libre échange. Aucun Etat ne devrait être mis sous pression pour adopter des standards négociés dans des fora auxquels il n’a pas participé.
  • Une intervention parlementaire est en cours au Mexique pour demander au gouvernement de ne pas signer l’ACTA tant que les consultations avec les différentes parties prenantes (industrie, ONG, etc.) ne sont pas terminées (i.e. le 5 juillet). Le Mexique doit encore statuer sur la signature de l’ACTA.
  • L’ACTA prévoit d’établir un comité avec de larges pouvoirs pour superviser la mise en oeuvre de l’accord, mais aussi pour statuer sur des modifications futures de l’accord, contournant ainsi les processus démocratiques traditionnels (enceintes onusiennes, parlement nationaux ou régionaux). Le Comité ACTA se profile ainsi comme le futur lieu de définition de normes en matière d’application des droits de propriété intellectuelle, court-circuitant l’OMPI et l’OMC (où les pays en développement et émergents sont présents en nombre.

En quoi la définition de la « contrefaçon » contenue dans l’ACTA est-elle problématique?

L’ADPIC définit la contrefaçon comme une violation du droit des marques, dont la qualification dépend de la législation du pays d’importation. Dans l’ACTA, cette qualification est étendue à l’importation et à l’exportation. Cela autorise un pays, à travers lequel la marchandise passe mais n’entre jamais, de la saisir sur la base d’une infraction à sa propre législation, même si la marchandise en question ne viole ni les lois du pays d’importation ni celles du pays d’exportation. Ce processus, connu sous le nom de transbordement (transshipment), permet de bloquer des marchandises provenant de pays aux lois de propriété intellectuelle plus laxistes lorsqu’ils transitent par des pays aux lois de propriété intellectuelle plus strictes. Il s’agit d’un rehaussement du standard de protection de la propriété intellectuelle concernant le transport international de marchandises, et donc d’une disposition ADPIC+ qui n’a pas été négociée dans une enceinte multilatérale.

En quoi la définition de «médicaments contrefaits» pose-t-elle un problème, de manière générale ?

La définition de la contrefaçon de médicaments (au niveau de l’OMS, de l’industrie pharmaceutique, du commerce international, etc.) mélange plusieurs problématiques: les faux médicaments (ne contenant pas de substance active ou sous-dosé), les médicaments faussement étiquetés (avec une étiquette contenant des informations erronées sur le contenu du produit), les médicaments de qualité inférieure (due à un procédé de fabrication défaillant ne répondant pas aux normes en la matière ou à un problème d’entreposage) et les médicaments contrefaits (utilisation sans autorisation de l’ayant-droit d’une marque déposée). Les 3 premières catégories représentent une menace de santé publique, liée à la qualité du produit, alors que la dernière concerne la propriété intellectuelle, sans que l’on puisse à priori dire quoique ce soit sur la qualité de son contenu. Vouloir résoudre tous ces problèmes par le seul biais d’un renforcement de la propriété intellectuelle est voué à l’échec.

Des vies en jeu

Même si l'ACTA ne se limite pas aux médicaments, ces derniers sont des biens à part, destinés à soigner des malades et à sauver des vies. Ils risquent d’être pris dans les mailles du filet «ACTA», définies de la manière la plus serrée possible pour pouvoir attraper tous les types de «contrefaçons». Saisir un lot de fausses montres n’a toutefois pas les mêmes répercussions que retenir un lot de médicaments génériques. Les douaniers manquent d’expertise pour distinguer des produits similaires ou contrefaits. Cette décision devrait relever de la compétence d’un juge expérimenté.