L’industrialisation des pays en développement menacée?

Les négociations en cours portant sur les biens industriels sont appelées NAMA (Non Agricultural Market Access). Le but est de contraindre les pays en développement à abaisser, et plus tard à éliminer, leurs droits de douane (parfois encore élevés) sur les produits industriels. C’est ce que demandent surtout les Etats-Unis, l’Union européenne, le Canada et la Suisse. Cette dernière défend ici de façon très offensive les intérêts de l’économie suisse (en particulier l’industrie pharmaceutique, horlogère et des machines). Quant au groupe de pression de l’industrie états-unienne, le National Foreign Trade Council, il exige de pays tels que le Brésil, l’Egypte, l’Inde, la Malaisie ou l’Afrique du Sud (considérés comme les principaux nouveaux marchés) une baisse de 75% de leurs droits de douane.

Les pays pauvres ont besoin des droits de douane sur les produits industriels
De nombreux pays en développement déclarent ne pas pouvoir se passer de ces taxes pour deux raisons principales:

  • Les droits de douane les protègent d’importations de biens industriels à bas prix, ce qui leur permet de développer leur propre industrie. De nombreux exemples démontrent ce qui se passe lorsque cette protection disparaît. Dans les années 1980, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont exigé des pays en développement qui leur demandaient un crédit qu’ils démantèlent leurs droits de douane. Les institutions financières prétendaient que la présence de produits étrangers baisserait les prix des biens de consommation et améliorerait la capacité concurrentielle de l’industrie locale. Or, les conséquences ont été tout autres. Au Sénégal, à la suite de la baisse des droits de douane de 165 à 90%, un tiers des places de travail dans l’industrie de transformation a disparu. Il en fut de même au Ghana, au Kenya et dans d’autres pays africains et sud-américains.
  • La diminution des droits de douane signifie aussi, pour les pays en développement, une importante perte de revenus. Alors que, dans les pays industrialisés, les revenus douaniers représentent au maximum 1,3% des finances publiques, ils constituent 20 à 50% des recettes publiques dans les pays en développement! Et les pays pauvres n’ont pas pu remplacer les baisses des tarifs douaniers auxquelles ils ont consenti entre 1975 et 2000 par de nouvelles ressources fiscales (Thomas Baunsgaard et Michael Keen, Tax Revenue and (or?) Trade Liberalization, IMF Working Paper 05/112, Fonds monétaire international, juin 2005).

Qualifier les négociations actuelles de «cycle du développement» relève ainsi presque du cynisme. On enlève aux pays pauvres des protections dont les pays industrialisés se sont servis au début de leur propre industrialisation. L’Angleterre, entre autres, a protégé son industrie cotonnière de la concurrence indienne grâce aux droits de douane.

La plupart des pays en développement tiennent à participer au commerce mondial. Mais ils ne veulent ouvrir à la concurrence internationale que les domaines qu’ils considèrent suffisamment développés et solides. Plutôt que de négocier une réduction linéaire des droits de douane sur les biens industriels (comme cela se fait actuellement à l’OMC), il faut rechercher des solutions adaptées à chaque pays.