Mainmise sur le vivant: qu'est-ce que la biopiraterie ?

Dans sa définition usuelle, la biopiraterie est le pillage des ressources génétiques (une plante par exemple) et des savoirs traditionnels qui y sont associés (comme leurs vertus nutritives ou médicinales) au détriment des communautés locales qui les ont développés, c'est-à-dire sans leur accord et sans juste contrepartie.

(Ce texte est paru dans le numéro 163 de notre revue SOLIDAIRE)

  • Des entreprises du Nord acquièrent des monopoles commerciaux sur des semences du Sud alors que ces semences y sont cultivées depuis des centaines d'années.
  • Des laboratoires pharmaceutiques du Nord accaparent, pour commercialiser à leur seul profit, des substances tirées de plantes utilisées dans les médecines traditionnelles des pays du Sud.
  • Des instituts publics collectent des semences dans les pays du Sud et les mettent gratuitement à disposition des entreprises qui les brevètent, au détriment des communautés du Sud qui les ont développées.

La biopiraterie n'est pas un phénomène nouveau en soi. Il suffit de penser aux multiples plantes ramenées par les explorateurs européens du passé. Seulement, ce qui était licite autrefois ne l'est heureusement plus aujourd'hui. Les empires coloniaux ont disparu et le principe de souveraineté des Etats sur leurs ressources génétiques est désormais reconnu par le droit international.

Brevets et biopiraterie
Les brevets sont un instrument-clé de la biopiraterie. Les brevets donnent un droit exclusif de production et de commercialisation, limité dans le temps (en général 20 ans), pour une invention, en contrepartie de la publication immédiate des procédés de fabrication. Lorsqu'il dépose un brevet sur des ressources naturelles, le biopirate abuse du système des brevets. En effet, le biopirate n'invente rien, il se contente de s'approprier à bon compte les ressources génétiques et les savoirs traditionnels, souvent issus des pays du Sud.

Pourquoi est-ce un problème Nord-Sud ?
La biopiraterie n'est pas en soi un phénomène Nord-Sud. Il existe des cas de biopiraterie au Nord. Pourtant, dans la pratique, les entreprises agro-chimiques ou laboratoires pharmaceutiques qui s'approprient les ressources génétiques sont principalement basés dans les pays industrialisés. Quant aux pays du Sud, ils concentrent 90 % de la diversité biologique (micro-organismes, plantes et animaux). Contrairement aux idées reçues, cette biodiversité n'est pas qu'un don de la nature. Les communautés locales y contribuent aussi en développant patiemment des variétés végétales et des races animales.

La commercialisation de médicaments ou de variétés de semences brevetés génère d'importants profits. En ce sens, la diversité biologique et les savoirs traditionnels du Sud représentent une énorme source de gains potentiels pour les entreprises pharmaceutiques et pour l’agro-industrie. Avec le développement actuel des biotechnologies, l'intérêt des entreprises pour les ressources génétiques s'est encore accru. On parle même parfois de ruée vers "l'or vert".

Six firmes géantes possèdent presque les trois quarts de tous les brevets déposés dans le secteur de la biotechnologie agricole. Ces multinationales du Nord dominent également le secteur du commerce des semences et, de fait, contrôlent une grande partie de la distribution des ressources agricoles.

Inverser la tendance actuelle
Les cas de biopiraterie ne cessent de se multiplier: un brevet sur les haricots jaunes du Mexique, un autre sur le melon amer chinois, plusieurs sur le kava de Mélanésie, environ 70 brevets sur le neem indien, etc.

Avec le développement des biotechnologies, les entreprises pharmaceutiques et l'agro-industrie veulent protéger leurs produits pour amortir leurs frais de recherche élevés. Ils font ainsi pression pour généraliser les brevets sur le vivant. Les Etats-Unis donnent le ton en la matière: le premier brevet sur un être vivant y a été délivré en 1980. L'Europe n'est pas en reste et a adopté une directive controversée autorisant à breveter jusqu'à des parties du corps humain (1). Quant à la Suisse, elle est prête à s'aligner sur l'Europe et entreprend de réviser sa loi sur les brevets (voir Solidaire n° 157).

Au niveau international, l'accord sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC en français, TRIPS en anglais) de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) universalise quasiment le système des brevets sur le vivant. Désormais, cette question concerne les pays du monde entier. Une fois cette législation en place, les biopirates pourront protéger leurs produits dans les 142 Etats membres de l'OMC.

Quelles actions possibles pour lutter contre la biopiraterie?
Pour lutter contre la biopiraterie, plusieurs voies doivent être poursuivies simultanément:

1. Assurer le respect des principes consacrés par la Convention de Rio sur la Biodiversité
Finalisée en 1992 au sommet de la Terre à Rio et adoptée à ce jour par 180 Etats (dont la Suisse), cette convention a consacré le principe de souveraineté des Etats sur leurs ressources génétiques (article 3). Elle prévoit notamment que l'accès à ces ressources par des tiers doit d'une part être soumis au "consentement préalable donné en connaissance de cause" (article 15.5) de l'Etat fournisseur et d'autre part s'accompagner d'un "partage juste et équitable" (article 15.7) des fruits de cet accès.

La Déclaration de Berne (DB) demande que les principes de la Convention sur la Biodiversité soient respectés. C’est ce qu'elle a réclamé dans le cas du litige entre l'Université de Lausanne et le Zimbabwe (voir Solidaire n° 159). Actuellement, la DB encourage des négociations entre l'Etat du Zimbabwe, l'Université de Lausanne et les autres parties intéressées (comme les guérisseurs traditionnels du Zimbabwe) en vue d’une meilleure répartition de l’accès aux ressources et des bénéfices entre tous les acteurs.

2. Garantir le libre-accès des agriculteurs aux semences
Les agriculteurs doivent pouvoir réutiliser une partie de leur récolte comme semences pour la saison suivante et les échanger, sans qu'ils aient à payer de taxes aux "propriétaires" de variétés de cultures brevetées. Ce droit de l'agriculteur (droit de planter, échanger et conserver une partie des récoltes) est fondamental et doit enfin être reconnu et renforcé internationalement. La Déclaration de Berne soutient diverses initiatives qui vont dans ce sens:

  • L’engagement international sur les ressources phytogénétiques" de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), en négociation, qui permettrait le libre-accès des paysans et des scientifiques aux semences importantes pour la sécurité alimentaire.
  • L’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) propose un modèle de loi, compatible avec l'accord ADPIC de l'OMC, qui permettrait de préserver durablement la biodiversité et les intérêts des cultivateurs africains, tout en établissant un partage équitable des éventuels bénéfices financiers et technologiques des ressources génétiques indigènes (voir Solidaire n°160).

3. S'opposer à la brevetabilité du vivant
Le vivant ne peut pas être traité comme un simple objet, monopolisable par quelques uns. La Déclaration de Berne est une des organisations à la base de la campagne "Non aux brevets sur le vivant!" qui demande au Conseil fédéral d'œuvrer dans ce sens en Suisse et dans les instances internationales. En particulier, il s'agit:

  • d'empêcher que la révision de la loi fédérale sur les brevets, qui débute actuellement, ne généralise les brevets sur le vivant;
  • de faire en sorte que la délégation suisse à l'OMC s'engage pour une révision fondamentale de l'accord ADPIC de l'OMC.