Alors que le travail des enfants augmente dans le monde, la Suisse refuse de faire face à ses responsabilités

Le Conseil fédéral vide encore un peu plus de son sens le contre-projet à l’initiative pour des multinationales responsables. La proposition de mise en œuvre exonère très largement les entreprises suisses de toute obligation de diligence. Les exceptions prévues sont si nombreuses que presque aucune entreprise ne sera tenue, en pratique, de faire des efforts sérieux pour bannir le travail des enfants ou les minerais du conflit de sa chaîne d’approvisionnement. Une attitude plus que cynique car le travail des enfants est à nouveau en augmentation.

Selon le dernier rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT), le nombre d’enfants qui travaillent a augmenté cette année pour la première fois en vingt ans. 160 millions d’enfants, soit presque un enfant sur dix dans le monde – sont touchés par le travail abusif des enfants. C’est 8 millions de plus que lors du dernier recensement en 2016. La plus grande augmentation concerne le groupe des 5 à 11 ans.

Pas de lumière au bout du tunnel

La moitié ou presque des enfants qui travaillent dans des conditions abusives réalisent des tâches non seulement interdites aux personnes de leur âge, mais aussi dangereuses ou néfastes pour leur santé. Bon nombre d’entre eux ne peuvent pas aller à l’école, ce qui entrave leur développement et limite leurs perspectives d’avenir. Aucune amélioration n’est à prévoir durant l’année internationale pour l’élimination du travail des enfants, organisée par les Nations Unies. Au contraire: d’ici fin 2022, en raison des conséquences de la pandémie de coronavirus, on estime que 9 millions d’enfants supplémentaires seront touchés. A l’évidence, les mesures existantes sont loin d’être suffisantes pour limiter le travail des enfants, sans même parler de l’éliminer.

Nestlé, Cargill et l’esclavage d’enfants: l’impunité continue!

L’OIT propose donc de s’attaquer davantage au travail des enfants sous l’angle des chaînes de valeur internationales. Malheureusement, c’est aussi là que les lacunes sont les plus criantes. Dernier exemple en date? La décision prise le 17 juin 2021 par la Cour suprême des États-Unis de ne pas se saisir d’une plainte pour esclavage des enfants déposée il y a plus de seize ans contre Nestlé et Cargill. La plus haute instance judiciaire du pays ne permettra donc pas aux six anciens enfants esclaves du Mali de faire enfin valoir leur droit à des réparations.

Les deux multinationales se sont battues bec et ongles pour ne pas être reconnues partiellement responsables des conditions de travail abusives dans les plantations de cacao d’Afrique occidentale. Nestlé et Cargill ne réfutent pas les cas, mais nient toute responsabilité. Une attitude cynique qui fera certainement entrer ces deux géants du cacao dans l’histoire comme ayant favorisé l’impunité face à l’esclavage d’enfants.

La Suisse refuse aussi d’assumer ses responsabilités

La décision de la Cour suprême des États-Unis montre une fois encore que dans le monde entier, les profits des multinationales pèsent plus lourd que les droits humains et les droits des enfants.

Il est essentiel que la Suisse établisse une base juridique solide imposant à ses entreprises une diligence raisonnable efficace en matière de droits humains. Le «oui» du peuple à l’initiative pour des multinationales responsables montre que la majorité des votant·e·s souhaitent mettre enfin les sociétés face à leurs responsabilités.

La mise en œuvre du contre-projet à l’initiative pour des multinationales responsables ne satisfait en rien cet impératif. Elle semble même avoir été conçue pour créer autant d’exceptions que possible en matière de diligence raisonnable dans le domaine du travail des enfants. Les PME sont par exemple totalement exemptées, quels que soient les risques liés au travail des enfants dans leur chaîne de valeur. Les entreprises peuvent aussi se soustraire à la loi suisse en mentionnant dans un rapport un autre ensemble de règles internationales.

Même les grandes entreprises peuvent être exemptées de la diligence raisonnable imposée par la loi si elles démontrent qu’elles s’approvisionnent dans un pays où le risque de travail des enfants est faible. Elles ne sont alors même plus tenues de vérifier s’il y a un soupçon fondé de travail des enfants. Les dispositions prévues par le Conseil fédéral sont bien loin de l’approche basée sur les risques reconnue aujourd’hui, au niveau international, comme le standard efficace à mettre en œuvre.

On peut craindre qu’avec ce contre-projet vidé de son sens, presque aucune entreprise ne sera tenue de respecter ses obligations de diligence raisonnable en matière de travail des enfants.

Seuils élevés et zones de conflit au lieu de risques concrets

Dans le domaine des minéraux et des métaux, le Conseil fédéral crée de généreuses exceptions, souvent contraires à la loi. Les seuils pour contraindre à une diligence raisonnable les sociétés qui importent et négocient de l’or sont si élevés que le secteur lui-même les critique dans l’Union européenne. Par ailleurs, le fait de limiter la diligence raisonnable à l’extraction de matières premières dans des zones de conflits ou à haut risque conduit à se concentrer sur le potentiel de conflit général d’un pays plutôt que d’évaluer les risques pour les droits humains au niveau local, dans des mines concrètes – alors que les violations des droits humains se manifestent toujours au niveau local.

Public Eye a pris part à la procédure de consultation relative à la mise en œuvre du contre-projet à l’initiative pour des multinationales responsables. Dans notre réponse à la proposition du Conseil fédéral, nous soulignons ses lacunes et demandons aux autorités de faire les modifications nécessaires. La Suisse joue un rôle central en tant que plaque tournante du négoce de matières premières et siège de nombreuses multinationales.  Au vu de l’augmentation tragique du travail des enfants dans le monde, la Suisse doit enfin prendre ses responsabilités pour protéger les droits humains et les droits des enfants.

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