Nouvelle entrave aux médicaments génériques du Sud

Sous prétexte de violation des brevets, les autorités douanières européennes renforcent leur entrave au commerce légitime des médicaments génériques du Sud. Une nouvelle saisie d’un lot d’antibiotiques indiens en transit a eu lieu en mai dernier au sein de l’Union européenne, à Francfort cette fois-ci. De leur côté, les autorités néerlandaises, sous pression des ONG, ont avoué récemment avoir saisi en tout 17 lots de médicaments génériques en transit durant l’année 2008.

Le 5 mai dernier, 3 millions de comprimés d’amoxicillin en provenance d’Inde et à destination de la République de Vanuatu (Îles du Pacifiques) ont été saisis par les douanes allemandes, sous prétexte de suspicion de violation de la propriété intellectuelle. Ce lot d’antibiotiques utilisés pour traiter une vaste gamme d’infections bactériennes représentait 76'000 traitements, pour une valeur d’environ 28'000 Euros. Il a fallu attendre 15 jours jusqu’à ce que GlaxoSmithKline Pharmaceuticals (GSK), la compagnie ayant jadis détenu un brevet pour un médicament de cette substance, informe les autorités douanières allemandes qu’il n’y avait pas de violation de marque déposée. S’agissant d’un nom générique tombé dans le domaine public depuis plusieurs années, l’amoxicillin ne pouvait en effet violer aucun brevet. Il a fallu 15 autres jours pour que le lot soit libéré et puisse continuer sa route.

Juste la pointe de l’iceberg

Ce nouvel épisode de saisie de médicaments génériques en transit fait suite à celles survenues en 2008 aux Pays-Bas. Mises sous pression par un réseau d’ONG international – dont fait partie la DB – les autorités néerlandaises ont dû répondre aux exigences de la loi sur la liberté d’information et admettre que 17 saisies avaient été opérées sur leur sol durant l’année 2008. Comme le Brésil et l’Inde l’avaient suspecté et formulé lors de leurs interventions en mars et en juin à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le cas les plus récents ne représentaient donc que la pointe de l’iceberg. Sur ces 17 saisies, 16 ont concerné des médicaments génériques en provenance d’Inde et une de Chine, à destination de l’Amérique du Sud, de l’Afrique ou d’autres pays européens (Espagne et Portugal). Les lots consignés concernaient des antirétroviraux et des médicaments destinés à traiter des troubles cardio-vasculaires ou mentaux.

L’UE sous le feu des critiques

Toujours à l’origine de ces saisies, le règlement européen EC 1383/2003 conçu à la base pour lutter contre les contrefaçons. Tentant de minimiser la portée de ces saisies et de calmer le jeu, l’Union européenne (UE) a réaffirmé à plusieurs reprises dans cette affaire son soutien inconditionnel à la Déclaration de Doha de 2001 et aux flexibilités contenues dans les Accords sur les aspects des droits de la propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de l’OMC. Mais au-delà des mots et des beaux discours, rien n’a véritablement changé. Les ONG et les pays du Sud concernés, emmenés par le Brésil et l’Inde, réitèrent donc leur pression auprès de l’UE et de l’OMC pour que ces saisies cessent et que ce règlement soit amendé, dans la mesure où il viole l’esprit et la lettre des ADPIC et entrave le commerce légitime international – et surtout Sud-Sud – de médicaments génériques vitaux.

L’agenda international anti-contrefaçon

Ce dernier cas en Allemagne démontre que c’est bien l’existence du règlement européen qui est un problème, et non pas sa mise en œuvre par des autorités néerlandaises supposées trop zélées. Il est à craindre que ces saisies non seulement perdurent, mais se multiplient. En effet, les pays riches, la Suisse en tête, affichent une volonté agressive de renforcer coûte que coûte les droits de propriété intellectuelle, à travers un « agenda anti-contrefaçon » abordé simultanément – le plus souvent à l’abri des regards – dans plusieurs forums de négociation. La contrefaçon ne représente pourtant qu’un aspect d’un problème de santé publique beaucoup plus large, celui de la qualité, la sécurité et l’efficacité des médicaments.

En mai, lors de la dernière Assemblée mondiale de la santé, les pays du Sud avaient d’ailleurs incité la Directrice de l’OMS à changer le terme « contrefaçon » dans le plan stratégique de l’organisation, estimant qu’il avait une trop forte connotation de propriété intellectuelle. Mais les pays du Nord cherchent à faire passer les produits violant la propriété intellectuelle pour des substances systématiquement dangereuses pour la santé, et ainsi à protéger les monopoles de leur industrie pharmaceutique. C’est donc sous couvert de protection des consommateurs du pays de destination finale (!) et de prétendu principe de précaution que des lots de médicaments génériques du Sud « suspectés de contrefaçon » et « potentiellement dangereux » sont saisis par les douanes européennes, alors qu’ils ne sont qu’en transit. En procédant ainsi, c’est tout le commerce légitime Sud-Sud de médicaments génériques transitant par les hubs européens qui est en péril. Et par là-même l’accès aux médicaments pour les pays pauvres.

Patrick Durisch
Responsable Programme Santé
Déclaration de Berne