Prolifération des traités anticontrefaçon : les génériques en danger

Le projet d’accord commercial anticontrefaçon (ACTA) a enfin été rendu public le 21 avril dernier, sous la pression des ONG, du Parlement européen et des mouvements de citoyens. Il confirme les craintes concernant les atteintes aux libertés fondamentales, la criminalisation de pratiques sans rapport avec la contrefaçon et le durcissement de la propriété intellectuelle, qui auront des répercussions majeures pour l’accès aux médicaments.

Négocié dans le plus grand secret depuis 2007 par un club des pays les plus riches, dont la
Suisse, l’accord commercial anticontrefaçon (Anti-Counterfeiting Trade Agreement – ACTA) porte mal son nom, puisqu’il va au-delà de la lutte contre les violations liées au droit des marques, définition internationale de la contrefaçon. En criminalisant sans distinction des pratiques unanimement qualifiées de néfastes à la santé publique, comme les médicaments de moindre qualité ou contaminés, et des violations relevant du droit privé des marques ou des brevets, cet accord renforce la position dominante des groupes pharmaceutiques du Nord. En effet, le risque est réel que des médicaments génériques légaux, dont dépendent de manière vitale de nombreux pays du Sud, soient de plus en plus assimilés à des contrefaçons, comme l’ont montré les saisies répétitives de génériques en transit sur sol européen (lire Solidaire 203).

Avec l’instauration de nouvelles normes sur le plan international, les pays du Sud auraient infiniment plus de difficultés à faire usage des flexibilités qui leur sont pourtant garanties par les Accords de l’OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce
(ADPIC). De plus, l’accord anticontrefaçon ne résout pas le problème des médicaments de moindre qualité, contre lesquels un renforcement des dispositifs nationaux de contrôle des médicaments serait plus efficace. En définitive, sur un mode totalement antidémocratique, l’ACTA contribue à instaurer un climat généralisé de présomption de culpabilité, à dilapider d’importantes ressources et à transférer de plus en plus de tâches relevant du droit privé aux pouvoirs publics, notamment la protection des brevets ou des marques. Par conséquent, cet accord doit être rejeté dans sa forme actuelle.

La contagion gagne l’Afrique

La contagion des traités anticontrefaçon a aussi atteint l’Afrique. Sous l’impulsion des géants pharmaceutiques et des gouvernements du Nord, plusieurs pays tentent en effet de légiférer en la matière. Là aussi, la définition de la contrefaçon est suffisamment vague pour mettre en danger le commerce international des médicaments génériques. Au Kenya, trois patients atteints du sida ont réussi jusqu’à présent à s’opposer avec succès à la mise en œuvre d’une telle loi, en déposant un recours pour anticonstitutionnalité ; mais l’affaire n’est pas close. En Ouganda, l’Union européenne a même financé son élaboration, soutenant ainsi une loi plus restrictive que les législations européennes. Le Parlement régional de la Communauté est-africaine (EAC – Kenya, Ouganda, Tanzanie, Rwanda et Burundi) discute aussi d’un tel traité, qui mettrait en péril les quelque 4 millions de personnes sous traitement antirétroviral générique.

Patrick Durisch