Recherche et développement sur les maladies négligées : la Suisse peut et doit faire mieux

La recherche et développement (R&D) de nouveaux médicaments repose essentiellement sur les monopoles et les opportunités de profits que le système actuel des brevets permet d’envisager. Parce qu’elles ne représentent pas un marché suffisamment rentable, les populations défavorisées du Sud doivent faire face au manque de traitements efficaces, et surtout à des prix abordables, contre les maladies qui les affectent presque exclusivement. Si le problème est reconnu et que diverses initiatives ont vu le jour pour y pallier, la Suisse, qui dispose d’un savoir-faire et de ressources importantes, doit s’engager davantage.

Plus d’un milliard d’habitants sur notre planète, soit une personne sur sept, souffrent d’une maladie tropicale négligée. Parce que ces infections ne touchent que des populations pauvres et éloignées, les grandes entreprises pharmaceutiques ont longtemps abandonné la R&D de médicaments contre ces fléaux, dont l’issue est souvent très handicapante, voire mortelle. Les rares traitements existants sont très anciens, souvent longs et inefficaces, toxiques ou hors de prix. Malgré les importants progrès de la médecine, seuls 21 médicaments sur les 1556 autorisés ces trente dernières années concernaient spécifiquement les maladies négligées. Dont la moitié pour la tuberculose et la malaria qui, avec le VIH/sida, ont obtenu près des trois-quarts des quelque 3 milliards de dollars investis en 2008 dans le monde pour la R&D sur les maladies négligées. En laissant le secteur privé décider seul des priorités de la recherche, en fonction des profits, et non d’une logique de santé publique, les gouvernements des pays du Nord portent aussi une importante part de responsabilité dans cet échec.

De nouveaux mécanismes pour la R&D

Ces dix dernières années, des initiatives ont néanmoins vu le jour pour stimuler l’innovation dans le domaine des maladies négligées. Ainsi, des partenariats public-privé (PPP) non lucratifs ont permis de rassembler les différents acteurs et de mettre sur le marché des traitements innovants, sous des formes médicamenteuses plus appropriées aux conditions de vie des patients. Dans le cadre de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un processus intergouvernemental mené depuis 2003 a abouti à un plan d’action pour relancer la recherche pharmaceutique sur les maladies du Sud, adopté à l’unanimité par l’Assemblée mondiale de la santé en mai 2008. Depuis ce consensus historique, cependant, le groupe d’experts, chargé par l’OMS d’étudier les plus de 90 propositions de financement novatrices pour encourager la R&D, est sous le feu des critiques, accusé tour à tour d’opacité, de partialité et de connivence avec l’industrie pharmaceutique. Ainsi, dans leur rapport final diffusé en janvier dernier1, des propositions innovantes visant à dissocier le coût de la R&D du prix du médicament ont été rapidement mises de côté ou sous-évaluées. Cette dissociation favoriserait pourtant l’accès des futurs produits commercialisés aux plus pauvres. De fait, les aspects de propriété intellectuelle, pourtant centraux, n’ont pas été abordés. Mécontents, les pays du Sud ont fait pression lors de l’Assemblée mondiale de la santé de mai 2010 pour que l’examen de toutes les propositions de financement se poursuive.

La Suisse à la traîne

Avec ses institutions de recherche en santé et son industrie pharmaceutique de pointe, la Suisse a de nombreux atouts à faire valoir dans le domaine de la R&D sur les maladies négligées. En comparaison internationale, la Suisse figure dans le peloton de tête des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avec 3 % de son produit intérieur brut (PIB) consacrés aux dépenses de R&D en 2004, tous secteurs confondus. Et ce résultat est pour plus de 70 % le fait des entreprises privées, un ratio qui tend à se renforcer notamment dans le secteur de la pharmacie. Quant à elle, la part de R&D financée par la Confédération se chiffre à1,5 milliard de francs en 2008, soit 0,66 % du PIB seulement. La Suisse ne figure pas non plus parmi les douze gouvernements les plus généreux dans la R&D sur les maladies négligées, dont le douzième n’y a pourtant consacré que 17 millions de dollars en 2008. Soit à peine 0,2 % des 3,2 milliards de dollars que la Suisse a investis en 2005 dans la recherche pour la santé, selon le Global Forum for Health Research. Selon leur rapport de 2008, 160 milliards de dollars ont été investis dans le monde en 2005 pour la R&D dans le domaine de la santé, la Suisse y contribuant à hauteur de 2 %.La Suisse ne se distingue pas non plus par sa générosité envers les partenariats public-privé. En 2008, sur la base des rapports d’activité de quinze PPP, elle ne contribue directement qu’à raison de 3 millions sur les 600 millions de dollars de fonds reçus par ce secteur d’activité. Enfin, dans le cadre du Fonds national suisse (FNS), dont le budget annuel représente près de la moitié des contributions de R&D octroyées par la Confédération, seuls 3 millions de francs ont été accordés en 2007 et 20082 à des projets2 concernant les maladies tropicales négligées, soit à peine 0,6 % du montant total attribué aux domaines de la biologie et de la médecine.Au regard de l’ampleur de la problématique, du savoir-faire et des ressources disponibles, davantage de moyens pourraient être alloués par la Suisse à la recherche sur les maladies du Sud.Plutôt que de laisser les entreprises déterminer les orientations de la R&D, les pouvoirs publics doivent reprendre et assumer leur rôle dirigeant en la matière. En effet, dans ce domaine, les limites des logiques du marché sont patentes.

1) Disponible sur www.who.int/phi/documents/ewg_report/en/index.html

2) Comprend toutes les catégories d’encouragement à la recherche (libre et orientée). Les subsides accordés aux recherches sur le VIH/sida ne sont pas compris. Source: statistiques FNS (www.snf.ch).