Glencore en Bolivie: un départ surprise pas si surprenant

Il y a un an, la multinationale zougoise Glencore affirmait à Public Eye n’avoir aucune intention d’abandonner la mine de zinc de Porco, en Bolivie. C’est pourtant ce qu’elle fait aujourd’hui, en laissant à l’acheteur canadien tous les problèmes en matière de droits humains et d’environnement. À Porco, la désillusion l’emporte sur la surprise.
© Christian Lombardi

Mes souvenirs sont encore vifs: il y a treize mois, je m’engouffrais dans une galerie étroite, humide, sombre, étouffante et à peine sécurisée, à 4200 mètres d’altitude. Je me trouvais dans les montagnes boliviennes pour enquêter sur les conditions périlleuses dans lesquelles des coopératives extraient du zinc dans la mine de Porco, exploitée par la filiale de Glencore Illapa. Ces associations rassemblent des centaines de mineurs qui extraient les restes laissés par Illapa lorsqu’un secteur n’est plus intéressant pour l’extraction mécanisée. Ils revendent ensuite une grande partie du minerai à une filiale de Glencore du nom de San Lucas.

Glencore rejetait alors toute responsabilité quant aux conditions de travail des coopératives et affirmait que ses contrats d’achat soumettaient les associations de mineurs à un devoir de diligence raisonnable en vertu des «standards de Glencore pour ses fournisseurs». Ceux-ci leur imposaient notamment une «tolérance zéro» en matière de travail des enfants et «un équipement de protection personnelle adéquat». Comment expliquer alors les dizaines de jeunes hommes, manifestement âgés de moins de 18 ans, qui pénètrent chaque matin dans la mine avec un casque en plastique bon marché sur la tête? Nous n’en savons toujours rien. Plutôt que de répondre à ces questions, Glencore avait préféré passer à l’offensive sur le plan juridique (sans succès) ainsi qu’à grand renfort de publicités. Trois semaines avant la votation sur l’initiative pour des multinationales responsables, aucun des principaux médias n’avait parlé des abus révélés par notre enquête.

Pendant mon séjour sur l’Altiplano bolivien, j’avais entendu à plusieurs reprises une rumeur que je n’ai pas mentionnée dans mon reportage: Glencore prévoyait de bientôt quitter Porco. Selon les dires, sa filiale Illapa n’exploitait plus de nouveaux secteurs, bien que son contrat avec la société minière étatique Comibol l’y obligeait. J’avais alors demandé à Glencore si cette rumeur était vraie. La réponse de la responsable durabilité, Anna Krutikov, était catégorique:

la filiale de Glencore Illapa n’avait, selon elle, «aucune intention d’arrêter l’exploitation de la mine de Porco». L’entreprise aurait investi «des millions de dollars dans la modernisation des installations de stockage, la mécanisation de la mine et l’amélioration des conditions de sécurité», nous écrivait-elle en octobre 2020.

Un an plus tard, le 12 octobre 2021, Glencore annonçait avoir trouvé un accord avec la société canadienne Santa Cruz Silver Mining concernant le rachat de l’entreprise bolivienne de zinc – pour 110 millions de dollars (US). Comment expliquer ce retournement de situation? Nous avons posé la question à Anna Krutikov: «Cette décision n’a pas été prise à la légère», nous a-t-elle répondu. «Un examen stratégique» du portefeuille du groupe aurait été réalisé «en début d’année», «avec pour objectif de se concentrer sur des activités plus importantes et évolutives». La vente des «actifs» en Bolivie serait une conséquence de cet examen.

Dans les milieux spécialisés, l’information tournait déjà début mars que Glencore avait mandaté la Banque de Montréal pour lui trouver des acheteurs pour ses mines de zinc et d’argent en Argentine, en Bolivie et au Pérou. Deux explications possibles: soit Glencore a été incroyablement rapide pour réaliser l’«examen stratégique» de son portefeuille, soit l’affirmation faite il y a un an, selon laquelle le groupe n’avait aucune intention de mettre un terme à son activité en Bolivie, était un mensonge calculé.

Que pense-t-on du départ de Glencore à Porco?

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Porco, à l'automne 2020. La mine a été vendue depuis, la voiture cherche encore preneur.

Fredy Lugo qui, entre-temps, n’a pas été réélu au poste de maire de la petite ville, ne se montre pas surpris au téléphone. Il nous confie que ce départ était prévisible: «Il n’y a tout simplement plus grand chose à extraire ici».

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Ricardo Lugo, qui était jusqu’à peu le représentant syndical des employé·e·s d’Illapa – et qui n’a aucun lien de parenté avec le maire –, ne s’en émeut pas non plus: «Tout changement est une opportunité d’amélioration». En décembre, le personnel va rencontrer les nouveaux propriétaires canadiens, nous dit-il, et leur présentera une série de revendications: une augmentation des salaires réduits en 2016, aucun licenciement et la garantie que le cabinet médical qui soigne les employé∙e∙s et leur famille reste ouvert. Selon certaines rumeurs, la poursuite des activités du centre de santé de Porco – l’un des deux dont Glencore est responsable – serait menacée.

Quand nous avons demandé à la porte-parole de Glencore si Santa Cruz Silver Mining allait garder les centres de santé, elle nous a répondu dans un discours «corporate» bien huilé: l’acheteur se serait «engagé à maintenir les mêmes standards élevés d’opération et d’interaction avec les communautés» que Glencore, «ce qui inclut les aspects auxquels vous faites référence dans votre question». Comprenne qui pourra. Quant à la précarité des conditions de travail au sein des coopératives, elle nous affirme que «San Lucas s’engage toujours à travailler de manière constructive avec ses partenaires qui partagent son engagement en faveur de pratiques commerciales responsables».

Comment concilier de telles «pratiques responsables» avec l’emploi de travailleurs de moins de 18 ans? Ce n’est plus le problème de Glencore.

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Le zinc de Glencore servira à construire les infrastructures de demain. Ici, celle d'aujourd'hui, à Porco.

Le géant zougois des matières premières ne manquera pas à l’ancien maire Fredy Lugo: Glencore aurait certes payé le salaire de deux ou trois enseignant·e·s de l’école de Porco, et financé deux petites constructions, «mais rien de plus. Ils ont épuisé les richesses de notre sous-sol et maintenant ils s’en vont. Je m’inquiète pour l’avenir de Porco.»

Le jour après que j’ai reçu les réponses de Glencore, le groupe présente ses résultats trimestriels sur Twitter: plus de 850 000 tonnes de zinc aurait déjà été produites au cours de cette année. Et le groupe se targue de «produire le zinc qui contribue à la construction des infrastructures de demain». Où ces infrastructures seront-elles construites? En tout cas pas à Porco.

«Mets-toi aussi dans la peau de l’autre.» – Yogi Bhajan

Timo Kollbrunner enquête pour Public Eye sur les conditions de production des vêtements, d’épandage des pesticides ou d’extraction des minerais. Quand les multinationales concernées sont confrontées à ses conclusions, elles l’abreuvent de leur blabla «corporate». Timo se demande parfois à quoi peut bien ressembler le quotidien du département communication de ces entreprises.

Contact: timo.kollbrunner@publiceye.ch
Twitter: @tikollbrunner

Ce texte est une traduction de la version originale en allemand.

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