La stratégie de durabilité suisse: une goutte d'eau dans l’océan

La crise climatique est comme un grand incendie; elle demande un changement radical de notre modèle économique. Mais avec sa Stratégie pour le développement durable 2030, le Conseil fédéral prend son temps et combat le feu avec un petit arrosoir.

C'est en 1997 que le Conseil fédéral a publié sa première Stratégie pour le développement durable, et la sixième version du texte est actuellement en consultation. Sur le fond, la stratégie est une bonne idée: elle rassemble les lignes directrices et objectifs devant mettre la Suisse sur la voie de la durabilité sociale et écologique «pour relever les principaux défis auxquels notre monde est confronté». Ah, si seulement c’était vraiment le cas! Dans les faits, le Conseil fédéral reconnaît certes le besoin d’agir, mais il reste vague dans sa formulation des mesures et se montre particulièrement frileux quant à la concrétisation des objectifs et aux moyens de les atteindre. En matière d’impact, sa stratégie est une goutte d'eau dans l’océan.

La sensibilisation comme remède miracle?

Un exemple: depuis 24 ans, le Conseil fédéral veut sensibiliser la population à consommer de manière plus responsable à l’aide de «meilleures informations sur les produits». Le grand public est aujourd’hui bien sensibilisé et a conscience des conditions de travail déplorables et des graves conséquences environnementales de la production des biens de consommation. Or un quart de siècle après la première stratégie, les étiquettes ne présentent toujours pas vraiment d’informations pertinentes sur les conditions de fabrication de produits tels que les vêtements. Est-ce qu’il ne serait pas temps d’imposer enfin un devoir de transparence sur les conditions de production? Et peut-être aussi de limiter l’offre en produits et services particulièrement néfastes, ou du moins leur publicité?

Le Conseil Fédéral, virtuose de la passivité

Mais restons optimistes, car il ne faut pas sous-estimer la persévérance du Conseil fédéral: depuis 24 ans déjà, il affirme également vouloir s’engager «en faveur de la vérité des coûts à l’aide de l’internalisation des coûts externes». L’idée est bonne: quiconque dégrade l’environnement par sa production ou a des conséquences néfastes sur la population des pays producteurs doit en supporter les coûts. Déjà en 1997, le Conseil fédéral voulait «soutenir des mesures visant à internaliser les coûts environnementaux dans les prix de production et à favoriser la transparence dans les méthodes de production». Nous avons eu beau chercher de long en large, nous n’avons trouvé aucun exemple de cette approche. En ce qui concerne la durabilité, le Conseil fédéral est un virtuose de la passivité:

Il déclare à qui veut l’entendre qu’il a conscience du problème et veut passer à l’action, mais ne bouge pas le petit doigt, tout en veillant bien à ce qu’aucune multinationale ne soit bousculée.

Sauver le monde sans changer notre mode de vie?

La contradiction entre les déclarations et l’absence de concrétisation est perceptible dans tout le texte de la stratégie:

  • Les ressources ne devraient plus être surexploitées mais la Confédération reste vague quant aux mesures pour y parvenir.
  • La population suisse devrait se nourrir de manière plus durable, mais aucune mention n’est faite de la grande consommation de viande et de lait.
  • Les entreprises devraient mener leurs activités de façon responsable, mais la Confédération n’entend pas les y contraindre. Elle se contente de les «encourager» à le faire et de les «soutenir» en ce sens.
  • La pauvreté devrait être réduite sans toutefois s'attaquer aux inégalités croissantes à travers le monde ou au rôle de la Suisse.

La stratégie identifie pourtant bien les problèmes existants, comme le fait que la consommation de ressources par personne en Suisse est près de trois fois plus élevée que le niveau globalement disponible. Mais des objectifs concrets et quantifiables sont toutefois rarement évoqués et, quand ils le sont, comme pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, les moyens pour y parvenir sont esquissés avec un certain flou artistique.

Objectivement, la Confédération a complètement échoué avec les approches qu’elle a adoptées jusqu’à présent: bien que la réduction des émissions soit à l’ordre du jour depuis la première Stratégie pour le développement durable, les émissions par personne occasionnées par notre consommation n’ont quasiment pas changé depuis 1997, avec 14 tonnes d’équivalent CO2, alors que la limite que la planète puisse supporter n'est que de 0,6 tonne. Il n'est alors pas surprenant que la dernière évaluation de la Stratégie pour le développement durable 2016–2019 estime que sa contribution à l’objectif principal (garantir au niveau fédéral une politique cohérente en matière de développement durable en Suisse) reste «modeste». Une gifle retentissante, emballée dans un gant de velours diplomatique.

La Plateforme Agenda 2030, composée de plus de 50 ONG, estime elle aussi que la stratégie de la Confédération est insuffisante.

À la recherche d’un nouveau modèle de prospérité

La Suisse, comme d’autres pays industrialisés, contribue plus que la moyenne au changement climatique: elle doit donc réduire ses émissions plus tôt et plus vite que les pays plus pauvres, au nom de la justice climatique.

Il est certes difficile de reconnaître que notre modèle de prospérité actuel, centré sur la consommation, repose sur les inégalités mondiales et l’exploitation. Et qu’un léger changement de cap ne suffit pas: il faut faire demi-tour! Il serait d’autant plus important d’esquisser un modèle de prospérité qui soit véritablement juste et tourné vers l’avenir. Outre l’absence criante d’objectifs concrets, la Stratégie pour le développement durable du Conseil fédéral manque cruellement de vision.

La Confédération ne doit pas réinventer la roue dans son coin, il suffirait déjà qu’elle tende l’oreille, non seulement aux jeunes qui font grève pour le climat, mais aussi aux nombreuses personnes qui ont réalisé depuis longtemps qu’il est nécessaire de changer fondamentalement notre modèle économique et nos modes de consommation.

Renoncer à un modèle de prospérité centré sur la consommation n’est pas une menace mais une chance – et peut-être même la seule qu’il nous reste.

Public Eye a répondu (en allemand) à la consultation. Nous avons également publié notre position sur les questions de consommation.

«Quiconque veut que le monde ne change pas, ne veut pas qu’il continue d'exister.» (Erich Fried)

David Hachfeld a un faible pour le côté obscur du monde de la consommation. Il travaille depuis quatre ans pour Public Eye et lutte au sein du réseau international de la Campagne Clean Clothes pour défendre les droits du travail et la justice dans l’industrie textile mondialisée. 

Contact: david.hachfeld@publiceye.ch
Twitter: @DHachfeld

Ce texte est une traduction de la version originale en allemand.

Le blog #RegardDePublicEye

Nos expert∙e∙s, journalistes et porte-parole commentent et analysent des faits surprenants, cocasses ou choquants, liés aux pratiques des multinationales et à la politique économique. Depuis les coulisses d’une ONG d’investigation, et en portant un regard critique sur le rôle de la Suisse.  

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