Confection italienne à la mode chinoise

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Après avoir délocalisé leur production dans les années 1990, afin de profiter des bas salaires et d’optimiser leur rendement, de nombreuses entreprises textiles reviennent s’installer en Italie – rapatriant des emplois mais ramenant également avec elles les conditions de travail déplorables et les salaires de misère. Désormais, les ateliers de misère (« sweatshops ») se multiplient.

La Campagne Clean Clothes (CCC) a publié en 2014 une étude sur l’industrie vestimentaire et de la chaussure en Italie, dont les résultats sont sans équivoque: dans ce pays aussi, la concurrence globale et la course aux bas prix exercent une pression sur les salaires, dégradent les conditions de travail et favorisent le développement du secteur informel. Les grandes marques, telles que Louis Vuitton, Armani, Prada et Dior, rachètent d’anciennes usines qui avaient, autrefois, dû fermer en raison de la concurrence avec des sites de production meilleur marché délocalisés dans les pays d’Europe de l’Est et en Turquie. Aujourd’hui, l’Italie est redevenue « compétitive ». En effet, les usines rouvertes participent à une course aux bas salaires au niveau mondial.

En particulier en Toscane (Prato), une industrie parallèle s’est développée et constitue une sorte d’enclave de production bon marché dans la Péninsule. Les entreprises qui y sont implantées sont actives en tant que fournisseurs directs ou comme sous-traitants pour l’exportation et se distinguent par leur flexibilité extrême ainsi que leurs faibles coûts – ce qui leur permet de garantir des livraisons rapides et bon marché. Elles produisent aussi des biens pour l’industrie du luxe, notamment pour des griffes à l’instar d’Armani, de Valentino, de Versace et de Max Mara. Les immigré∙e∙s asiatiques, qui représentent la majorité des ouvriers et ouvrières travaillant dans ces usines, sont employés à des conditions très précaires. Cette enclave de production chinoise profite à l’industrie italienne de la mode, mais elle crée aussi des tensions de plus en plus fortes, en exerçant une pression à la baisse sur les prix et les salaires dans tout le secteur.

« En réaction à la concurrence au niveau global et à la pression exercée sur les prix, l’Italie voit son marché du travail devenir de plus en plus flexible et les conditions se dégrader ; la protection sociale tend à disparaître. La relocalisation des capacités de production et la création d’emplois sont positives, mais, si elles riment avec salaires de misère, absence de syndicats, insécurité, insalubrité et conditions de travail scandaleuses, elles sont catastrophiques », selon les propos de Francesco Gesualdi, auteur de l’étude et collaborateur de la CCC en Italie.

Cette étude se fonde notamment sur des entretiens réalisés avec des travailleurs et travailleuses du nord, du centre et du sud de l’Italie.

L'étude montre que les salaires versés dans l’industrie italienne de la mode sont nettement inférieurs au minimum vital calculé par l’institut national de la statistique.

Les auteurs ont aussi révélé que des sous-traitants employaient des ouvriers illégalement pour un salaire de 700 à 800 euros par mois, et que ceux-ci étaient contraints de faire d’innombrables heures supplémentaires excessives pour garder leur travail.

Et même en effectuant de nombreuses heures supplémentaires, la plupart ne sont pas en mesure de couvrir leurs besoins de base. Ils dépendent de l’aide de leur famille élargie et ne disposent d’aucune réserve pour l’épargne, les loisirs et les activités culturelles. Certains doivent renoncer aux soins médicaux pour pouvoir joindre les deux bouts.

Des salaires mis sous pression par la Troika

Plusieurs exemples actuels au sein de l’UE montrent que le droit du travail et le niveau des salaires sont constamment mis sous pression en Europe. En 2011, la Troika a fait pression sur l’Irlande, qui a dû diminuer le salaire minimum légal de 11,5 % afin que le pays redevienne « compétitif ». La même année, le Portugal, qui souhaitait augmenter le salaire minimum légal, s’est vu dans l’obligation de le geler.  En 2011, l’Espagne a dû suspendre l’adaptation du salaire minimum légal au coût de la vie, qui avait augmenté, et la Banque centrale européenne a exigé, en contrepartie de sa participation au remboursement des dettes espagnoles, que le pays introduise une nouvelle catégorie d’emplois avec des salaires inférieurs au minimum légal et des conditions d’engagement défavorables.

Les droits du travail menacés

Les récentes réformes du marché de l’emploi en Italie ont affaibli les droits du travail et participent au démantèlement du système de protection sociale. Les auteurs de l’étude craignent que le niveau des salaires en Italie se stabilise, à moyen terme, à 800-900 euros – un montant largement inférieur à celui prévu dans les conventions collectives ainsi qu’au montant du salaire vital.

Le combat pour les droits du travail a été long et difficile. La garantie d’un salaire minimal suffisant pour subvenir aux besoins des travailleurs et de leur famille et l’existence d’un système de protection sociale constituent, en temps de crise, un « filet social » absolument indispensable, une sorte de « ciment de la société » pour plus d’équité. Et ils sont absolument indispensables. Il serait catastrophique qu’en Europe et ailleurs dans le monde, les salaires de misère et les conditions de travail inhumaines deviennent la norme au nom de la compétitivité.