Glencore doit enfin s’expliquer devant la justice aux Etats-Unis

Lundi 2 juillet, Glencore a été sommée par le Département américain de la Justice (DoJ) de fournir des documents sur ses activités au Nigeria, en République Démocratique du Congo (RDC) et au Venezuela. Washington s’intéresse à des faits présumés de corruption et de blanchiment d’argent survenus entre 2007 et 2018. En décembre dernier, Public Eye déposait une dénonciation pénale auprès du Ministère public de la Confédération, invitant la justice à se prononcer sur la licéité des opérations menées par Glencore en RDC.

Dans le sillage des révélations faites par les Paradise Papers, Public Eye a demandé au Ministère public de la confédération (MPC) d’investiguer les activités de Glencore en RDC. En ligne de mire : l’acquisition de titres miniers de classe mondiale, à des prix bradés, obtenus dès 2007 avec l’aide de l’homme d’affaires israélien Dan Gertler, un proche du président congolais Joseph Kabila. La société suisse ne pouvait ignorer son profil sulfureux ; dès 2001, ses opérations dans le secteur du diamant étaient qualifiées par l’ONU de «cauchemar pour la RDC».

Les indices de malversations sont suffisants pour susciter l’intérêt des autorités de poursuite pénales. A ce jour, le MPC n’a pas pris de décision quant à la suite qu’il entend donner à la dénonciation de Public Eye. Aux Etats-Unis, le DoJ enquête depuis 2012 sur Dan Gertler pour des soupçons de corruption en RDC, justement. Il semble désormais prêt à faire toute la lumière sur le rôle de Glencore, longtemps pointée du doigt par les ONG et les médias.

Sentant le vent tourner, Glencore a pensé trouver la parade en rachetant en 2017 à Gertler ses participations dans des mines congolaises de cuivre et de cobalt, puis le mois passé en le rémunérant en euros plutôt qu’en dollars afin de contourner les sanctions édictées par Washington. Cela n’a pas suffi à éteindre l’incendie.

Les faits concernant les pétro-Etats du Nigeria et du Venezuela n’ont pas été rendus publics pour l’instant. Mais Glencore a été citée comme co-conspiratice par la compagnie pétrolière nationale du Venezuela (PDVSA), dans le cadre d’une plainte civile déposée aux Etats-Unis en mars dernier. PDVSA accuse la firme zougoise, ainsi que Vitol et Trafigura, d’avoir payé un consultant disposant d’un accès illicites à des informations confidentielles sur ses formules de prix et sur les appels d’offre relatifs aux exportations de pétrole. Ces faits, qui portent sur les années 2004-2017, auraient induit une perte de plus de 5 milliards de dollars pour les caisses publiques de Caracas. L’affaire est également instruite sur le plan pénal à Genève.

Au Nigeria, Glencore était l’un des principaux clients de sociétés liées au magnat pétrolier Kola Aluko, qui fait l’objet de poursuites pénales au Royaume-Uni ainsi qu’aux Etats-Unis. Ses activités étant concentrées en Suisse, le parquet de Genève a été appelé à fournir une importante documentation bancaire à Londres, alors que le MPC avait auparavant refusé cette entraide judiciaire.

Glencore bénéficie de la présomption d’innocence. Cependant, le fait que la justice américaine s’intéresse à ses activités dans trois Etats notoirement corrompus reflète bien sa propension à se mouvoir dans des contextes à hauts risques. Ces cas montrent avec quelle facilité les sociétés suisses de négoce peuvent conclure des affaires ou s’associer avec des individus douteux, car elles ne sont soumises à aucune obligation légale en la matière. Imposer des devoirs de diligence sur les relations d’affaires, à l’instar de ce qui existe dans le secteur bancaire, permettrait de limiter ces prises de risques excessives. Naïves ou coupables, les autorités fédérales continuent de miser sur le comportement « intègre et responsable » des sociétés de négoce, plutôt que de les réguler.

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