La DB demande à la Suisse de se retirer du barrage turc d'Ilisu

Lausanne, 11.10.2001 - La Déclaration de Berne (DB) critique sévèrement l'étude d'impact d'environnement du projet de barrage d'Ilisu en Turquie. Superficielle, lacunaire, elle ne peut en aucun cas permettre à la Suisse d'octroyer une garantie contre les risques à l'exportation (GRE) aux entreprises suisses. La DB exige des acteurs suisses (la GRE et l'UBS) qu'ils renoncent dès maintenant et définitivement à tout soutien financier au projet contesté.

Grâce à un appui international, le gouvernement turc prévoit de construire une méga-centrale hydroélectrique dans le Sud-Est Anatolien, où vit une majorité de Kurdes. Le barrage d'Ilisu sera ainsi situé sur le fleuve Tigre, près des frontières syrienne et irakienne. La Déclaration de Berne (DB) dénonce depuis longtemps déjà ce grand barrage destructeur qui délogera au moins 75'000 personnes, inondera des biens culturels de grande valeur et aggravera le conflit de l'eau au Proche-Orient.

La Suisse joue un rôle clé dans ce projet: des exportateurs suisses (Sulzer Hydro et ABB en 1998) sont sur les rangs pour réaliser une part importante des travaux. Ceux-ci souhaitent assurer leur contrat avec une garantie contre les risques à l'exportation (GRE) de 470 millions de francs suisses. L'agence suisse de la GRE coordonne les agences de crédit à l'exportation des autres pays impliqués, tandis que l'UBS supervise les opérations financières.

L'étude d'impact d'environnement (EIE) est attendue depuis plus d'un an par la DB et une coalition internationale de sept autres organisations. Cette étude constitue en effet la condition centrale posée par les agences internationales de crédit à l'exportation et par les banques pour soutenir financièrement le projet turc. Les agences prendront leur décision définitive en fonction des résultats de l'étude d'impact.

Après avoir mandaté des experts internationaux pour analyser l'EIE et pris connaissance des résultats, les ONG critiquent sévèrement le manque de sérieux de l'étude et dénoncent l'état d'avancement actuel du projet. Les standards internationaux ne sont pas respectés en plusieurs points:

  •     L'EIE est contradictoire, incomplète, manque parfois de données fondamentales et est argumentée de façon partiale.
  • Les promoteurs du projet ne savent toujours pas exactement combien de personnes seront affectées par le projet et n'ont toujours pas présenté de plan de déplacement des populations. Sur ce point uniquement, le projet bafoue 15 lignes directrices internationales. Tout cela se déroule dans une région à majorité kurde, où une législation d'état d'urgence prévaut. Quelles conséquences induit cette situation d'exception sur les déplacements de populations et la préservation des biens culturels? L'EIE ne les mentionne pas. Selon les autorités turques, quelque 75'000 personnes seront affectées par le projet, majoritairement kurdes. Les ONG redoutent cependant que ce chiffre ne soit plus élevé. De plus, la légèreté de la présentation de la situation de la population kurde - en réalité menacée de répressions - dans l'EIE jette des doutes sur l'indépendance de cette étude.
  • Malgré les stations de traitement des eaux prévues, le lac de retenue pourrait conduire à une intoxication du Tigre et menacer la santé des populations vivant en aval le long du fleuve.    Une analyse indépendante des données figurant dans l'EIE démontre que le barrage menace de tarir les eaux en aval en Syrie et en Irak en période de sécheresse.
  • Les conditions posées par la Garantie contre les risques à l'exportation ne sont toujours pas remplies. 
  • Les recommandations de la Commission mondiale des barrages ne sont pas respectées.
  • Le projet viole les droits humains

La GRE suisse a aussi mandaté de son côté une expertise indépendante - encore en cours - pour évaluer la qualité de l'EIE présentée. Le directeur de la GRE, Peter Silberschmidt, a révélé à la Déclaration de Berne que "la GRE a actuellement d'autres priorités que le barrage d'Ilisu, et la date pour une décision est incertaine étant donné la sérieuse crise économique en Turquie".

Cette crise économique régnant depuis longtemps maintenant, la Déclaration de Berne interprète plutôt cette étonnante déclaration comme un désengagement en douceur d'un projet violant manifestement beaucoup de standards internationaux. Une position inacceptable pour la Déclaration de Berne, qui ne peut accepter qu'une décision d'octroi de GRE se prenne sur la seule analyse de la situation économique. Cela reviendrait à faire espérer aux habitants d'une ville de la taille de Bienne que la crise se prolonge afin qu'ils ne soient pas déplacés!

La Déclaration de Berne exige que la GRE, le gouvernement suisse et l'UBS assument leur responsabilité sociale et renoncent immédiatement à soutenir ou à financer ce projet sur la base des violations prévisibles des droits humains, de ses graves conséquences sociales, écologiques et géopolitiques.

Informations de base sur le projet de barrage d'Ilisu en Turquie

Situé sur le fleuve Tigre, le barrage d'Ilisu fait partie intégrante du Projet du Sud-Est anatolien (Gap), qui prévoit plus de 20 barrages. D'une hauteur de 120 mètres, doté d'une centrale électrique de 1'200 MW, il créera un lac de retenue de 313 km2 pour un coût de 2 milliards US$.

Le très controversé projet prévu depuis de nombreuses années doit financièrement être couvert par des assurances de garantie à l'exportation de pays industrialisés pour pouvoir se réaliser. La centrale électrique doit être construite par un consortium international sous la direction de Sulzer Hydro (racheté depuis par la firme autrichienne VA Tech). En novembre 1998, le Conseil fédéral a pris la décision de principe d'octroyer une garantie contre les risques à l'exportation de 470 millions de francs. Cette décision provisoire (valable 6 mois), liée à différentes conditions, a été prolongée. Pour l'instant, aucune demande définitive des exportateurs n'est parvenue à la GRE suisse. La décision d'accorder une garantie publique en Suisse et dans les sept autres pays concernés (dont le Royaume Uni, l'Allemagne, l'Italie, l'Autriche et les Etats-Unis) était attendue à l'origine pour cet automne.

Suite à la publication de l'étude d'impact d'environnement officielle, les ONG présentent cinq rapports d'experts internationaux (en anglais) qui exposent leur analyse et leur position (analyse hydrologique et géomorphique, analyse sur les biens culturels, analyse des alternatives, analyse sur les déplacements de populations, analyse juridique et un résumé).