Négoce des matières premières: le Conseil fédéral évoque des problèmes, mais pas de solutions

Lausanne, 27.03.2013 - En rendant aujourd’hui public le rapport de l’Administration fédérale, le Conseil fédéral reconnaît pleinement les risques que pose le secteur des matières premières, en pleine expansion en Suisse. Pourtant, cette analyse timorée n’apporte aucune proposition concrète pour soumettre ce secteur à une régulation efficace.

Les principaux problèmes avec lesquels les entreprises de négoce et d’extraction pétrolière domiciliées en Suisse font régulièrement les titres sur le plan international sont détaillés avec soin dans le «Rapport de base: matières premières» de 56 pages. Il est décevant, mais aussi révélateur, que les trois départements impliqués, malgré près d’une année de travail, ne soient pas en mesure de présenter de nouvelles données chiffrées. Ainsi, «l’importance économique» du secteur est soulignée, sans que rien ne l’étaye. Le rapport se contente de relever à ce sujet qu’on ne dispose «d’aucun chiffre sur les rentrées fiscales du secteur des matières premières». On cherche également en vain des propositions qui permettraient de limiter efficacement les risques, pourtant reconnus, que cette branche fait porter, tant aux pays riches en ressources naturelles qu’à son pays d’accueil, la Suisse.

Droits humains et environnement: Pour régler cette question – sans doute la plus concrète pour les personnes dans les pays producteurs de matières premières – le rapport mise uniquement sur des initiatives volontaires émanant des firmes, n’allant ici pas au-delà du vœu pieu. En tant que place privilégiée par le secteur des matières premières, la Suisse doit assurer le respect par ses firmes d’une éthique minimale, en particulier à l’étranger. C’est pourquoi un «Smart Mix» (selon l’expression de John Ruggie) de règles volontaires et de prescriptions légales contraignantes est nécessaire.

Corruption et blanchiment d’argent: Discutant de manière générale de la corruption, le rapport n’est explicite que dans sa partie analytique, où il relève «que des montants considérables sont en jeu » sur un marché des matières premières qui « demeure peu transparent » ; que « la structure complexe de certaines sociétés holding ou le fait qu’une entreprise ne soit pas cotée en bourse favorisent une relative opacité». Le rapport ne contient par contre pas de trace de propositions constructives visant à accroître la transparence des structures complexes des sociétés et de leurs liens de propriété. Certes, le rapport recommande d’utiliser la réforme en cours du dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent pour tenir compte de façon appropriée des risques de blanchiment dans le secteur du négoce. Mais le projet de réforme du dispositif en question, publié récemment, continue de prétendre que le négoce de matières premières ne peut être soumis à la loi sur le blanchiment. Si tel est vraiment le cas, de nouveaux instruments légaux doivent être instaurés.

Transparence: Certes, le Conseil fédéral propose d’ouvrir un processus de consultation en vue d’adopter une réglementation suisse sur la transparence des paiements aux gouvernements, basée sur le modèle de l’Union européenne et des Etats-Unis. Cependant, cette réglementation devrait se limiter au secteur extractif, épargnant ainsi les activités de négoce, pourtant au cœur du modèle d’affaires des sociétés helvétiques. Une telle mesure raterait donc sa cible, ce d’autant plus que les activités extractives, même réalisées par des firmes suisses, seront déjà couvertes par les normes européennes. Comme première place mondiale du négoce, la Suisse a la responsabilité et la possibilité de contribuer à améliorer la transparence de la branche, en contraignant les entreprises à rendre publics les paiements qu’elles versent aux gouvernements.

Au lieu de tirer les conséquences de leur «Rapport de base», les autorités suisses veulent éviter d’avoir à instaurer des mesures légalement contraignantes et se contenter d’initiatives volontaires. De telles initiatives volontaires ne deviennent crédibles que lorsque les autorités politiques affrontent leurs responsabilités. Le département de l’Economie a joué un rôle fondamental dans l’élaboration de ce rapport. A l’automne dernier, son chef, Johann Schneider-Ammann, criait haut et fort vouloir «mettre de l’ordre dans l’écurie». Jusqu’à maintenant, l’administration n’a fait que mesurer la taille de l’écurie. Au tour du Parlement et du Conseil fédéral d’empoigner la fourche!