Cacao: l’autorégulation ne mettra pas un terme au travail des enfants dans les plantations

L’industrie très lucrative du chocolat n’est pas parvenue à réduire le travail des enfants et la déforestation dans la culture du cacao en Afrique de l’Ouest, ni à remédier à la pauvreté des familles de cacaoculteurs: ce sont les conclusions d’un rapport de l’Université de Chicago et du Baromètre du cacao 2020. La Cour suprême des États-Unis a l’occasion d’y remédier en partie: elle traite en ce moment une plainte contre Nestlé et Cargill.

Tous les deux ans, le réseau VOICE (Voice of Organisations in Cocoa) publie, avec d’autres ONG, un bilan sur les évolutions dans le secteur international du cacao et du chocolat. Une fois de plus, les conclusions du Baromètre du cacao sont affligeantes: bien que l’industrie promette depuis des décennies d’améliorer, à travers des mesures volontaires, le respect des droits humains et de l’environnement dans la culture du cacao, la situation n'a guère évolué pour les cacaoculteurs et cacaocultrices.

1,5 million d’enfants exploités

Les conclusions du rapport du National Opinion Research Center de l’Université de Chicago (NORC) sont sans appel: 1,5 million d’enfants triment toujours dans des conditions de travail abusives dans la culture du cacao en Afrique de l’Ouest. 95% d’entre eux réalisent des tâches figurant parmi les pires formes de travail des enfants, telles que la pulvérisation de pesticides, la récolte à la machette ou le port de charges lourdes. On ne parle pas ici d’une aide occasionnelle apportée aux parents sur les plantations, bien au contraire.

Au vu de cette réalité effarante et insupportable, il paraît très cynique que de nombreuses entreprises s’entêtent à simplement répéter «le travail des enfants n’a pas sa place dans notre chaîne d’approvisionnement», et ce d’autant plus quand on sait que l’industrie promet des améliorations depuis si longtemps. Déjà en 2001, de nombreux fabricants de chocolat, dont Nestlé et le numéro un mondial du secteur, Barry Callebaut, qui est domicilié à Zurich, signaient le protocole volontaire dénommé Harkin-Engel, par lequel ils s’engageaient à prendre des mesures pour éliminer le travail des enfants à l’horizon 2005. Le délai a d’abord été repoussé à 2008, puis à 2010, et enfin à 2020, et l’objectif a été ramené à une réduction de 70%.

Échec de l’autoréglementation

Ce but n’a pas été atteint et la situation s'est gravement détériorée au Ghana et en Côte d’Ivoire depuis le début de la pandémie de Covid-19. L’International Cocoa Initiative, plate-forme multipartite financée par les grands fabricants de chocolat, estime elle-même que la pandémie a entraîné jusqu’à 20% d’augmentation du travail des enfants, ce qui représente 300 000 enfants de plus.

Quelle a été la réaction des négociants de cacao et fabricants de chocolat? La Fondation mondiale du cacao, organisation faîtière du secteur, défend le point de vue cynique selon lequel le Protocole Harkin-Engel aurait été trop ambitieux car la complexité du problème était alors méconnue.

Un argument très étonnant, alors qu’en 2005 déjà, des plaintes avaient été déposées aux États-Unis contre Nestlé et Cargill pour implication dans l’esclavage d’enfants en Côte d’Ivoire. Après de nombreuses années de tractations juridiques, l’audition devant la Cour suprême des États-Unis a lieu ce mardi 1er décembre 2020. Les deux sociétés reconnaissent certes que des enfants travaillent en situation d’esclavage dans le secteur, mais elles rejettent toute responsabilité en la matière. Il faudra attendre l’été 2021 pour savoir si la Cour suprême entrera en matière sur la plainte déposée il y a 15 ans par six enfants esclaves maliens, et leur donnera enfin la possibilité de porter leur affaire devant les tribunaux.

Des labels qui ne garantissent pas un revenu vital

Les mesures volontaires, comme celles de plateformes nationales ou de labels, ne mettront pas un terme au travail des enfants dans les plantations de cacao. Il faut au contraire des règles contraignantes et des mesures concrètes pour garantir un revenu vital aux familles qui cultivent le cacao. Les labels ne permettent pas non plus une amélioration systématique de la situation précaire des cacaoculteurs et cacaocultrices: selon une étude mandatée par Fairtrade International, les familles ivoiriennes de cacaoculteurs certifiés ne percevaient même pas 10% d’un revenu vital en 2018, en dépit du prix minimum imposé et des primes.

Tant que les familles de cacaoculteurs vivent dans une pauvreté extrême, n’ont pas suffisamment accès à l’éducation et au système de santé, et n’ont guère de poids politique, il n'est pas possible de remédier au travail des enfants. Selon les conclusions du Baromètre du cacao 2020, elles sont aujourd’hui confrontées au choix cornélien entre nourrir leurs enfants ou les envoyer à l’école.

C'est précisément là que se situe le problème:

Les familles de cacaoculteurs n’ont aucun pouvoir de négociation face aux négociants et aux fabricants de chocolat.

Répartition inéquitable

Les familles de cacaoculteurs perçoivent la plus petite part de la valeur ajoutée: seulement 7,3% du prix de vente d’une tablette de chocolat au lait d’après une récente étude de l’ONG française Le Basic. La part revenant aux fabricants de chocolat est nettement plus élevée (27,3%) et celle des détaillants est la plus importante (38,5%). Les cacaoculteurs et cacaocultrices doivent assumer des risques majeurs, tels que de mauvaises récoltes ou la volatilité du prix du cacao sur le marché international.

Le pouvoir et la valeur ajoutée sont répartis de manière extrêmement inéquitable sur la chaîne de production du cacao, au détriment des agriculteurs et agricultrices. Les entreprises de cacao et de chocolat profitent de la situation et ne veulent rien changer ni engager une partie de leurs bénéfices pour garantir que les familles de cacaoculteurs perçoivent un revenu vital. Au contraire: elles prétendent que les problèmes prennent racines dans les mauvaises techniques agricoles, ce qui revient à rejeter la responsabilité de trouver des solutions aux familles de cacaoculteurs. Cette vision est aussi inadéquate que néfaste, dans la mesure où les problèmes dans la culture du cacao ne sont pas la source de tous les maux, mais plutôt les symptômes d’un système extrêmement inégalitaire.

La responsabilité particulière de la Suisse

Il est donc urgent de changer de système, en apportant des modifications structurelles tout au long de la chaîne de valeur du cacao afin de protéger systématiquement les droits humains des familles de cacaoculteurs et l’environnement. La Suisse abrite de nombreux fabricants de chocolat et figure parmi les premières places mondiales pour le négoce de cacao:

Au moins 30% de l’ensemble des fèves de cacao sont négociées par des sociétés helvétiques. La Suisse a donc un rôle particulier à jouer.

Le fait que la majorité du peuple suisse ait voté en faveur de l’initiative multinationales responsables, qui ne sera pas adoptée faute d’avoir aussi obtenu la majorité des cantons, montre que l’ère de l’approche volontaire est bel et bien révolue: il est attendu du secteur des matières premières qu’il fasse preuve d’une diligence raisonnable.

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