On: classe mondiale à Zurich, zéro pointé au Vietnam
Florian Blumer, 17 juillet 2025
On est-elle «in»? C’est une question qui prête à controverse. Il est évident, en revanche, qu’On est «on» – autrement dit, qu'elle cartonne. Fondée par trois amis zurichois, adeptes de course à pied mais aussi et surtout de marketing, cette startup a décollé en un temps record pour atteindre la stratosphère de l’industrie des chaussures de course, où elle a rejoint les grands noms de la branche, comme Nike et Adidas. Oui, à peine quinze ans (!) ont suffi à la marque pour rejoindre ces géants du marché, et même les dépasser. C’était en tout cas le message de cette chaude soirée d’été à l’espace Toni-Areal, l’épicentre suisse de la tech qui se trouve dans le 5e arrondissement de Zurich.
Les trois fondateurs de la marque, aujourd’hui multimillionnaires, accompagnés de personnalités du sport, de la politique, de la science et de l’économie (bien souvent chaussées d’une paire de On) s’y étaient donné rendez-vous à l’occasion de l’ouverture de leur site de fabrication «LightSpray» pour célébrer l’avènement d’une nouvelle ère dans la production de chaussures de sport – de leur point de vue du moins. Le contraste n’aurait pas pu être plus frappant. Loin des ateliers de fabrication du Vietnam, où travailleurs et travailleuses arrivent tôt le matin et repartent tard le soir, cousant et collant côte à côte des chaussures pour un salaire de misère, un public suisse fasciné s’est vu ouvrir les portes d’une halle de production déserte, qui rappelait plutôt le cabinet d’un·e dentiste. Derrière des parois de plexiglas, quatre bras robotisés blancs y tournoyaient pour recouvrir une forme à chaussure de thermoplastique à l’aide d’une sorte de pistolet à colle chaude.

Selon Caspar Coppetti, l’un des cofondateurs de On, un seul de ces bras peut remplacer entre 200 et 300 travailleuses et travailleurs. À lui seul, il est capable d’effectuer leur travail en seulement trois minutes… pour l’instant. À l’avenir, le processus devrait encore s’accélérer.
Ce soir-là, l’atmosphère était euphorique (à l’échelle suisse) dans la salle de présentation du «On Labs». Impossible d’échapper à la sagesse entrepreneuriale et au jargon spécial start-up: «Nous n’avons pas peur d’échouer, nous avons peur de ne pas avoir essayé», «Nous célébrons nos échecs, nous avons même un Mur de la honte». Joël Mesot, président de l’EPFZ, était au rendez-vous pour faire l’éloge de la Suisse et de On, les présentant comme épicentre de l’innovation, de l’esprit d’entreprise et, bien sûr, comme exemple d’une qualité sans égale.
À l’évidence, les tribunaux zurichois ne voulaient pas casser cette belle ambiance. Fin juin, ils ont débouté la FRC, une organisation suisse romande de protection des consommateur·ice·s, qui avait déposé une plainte pour greenwashing. Dans ses campagnes, la marque promettait que son modèle Cloudneo était recyclé à 95%. Cependant, deux ans plus tard, les recherches de la RTS ont permis d’établir qu’aucune chaussure n’avait encore été recyclée. Selon l’argumentation du tribunal, vanter ce recyclage avant même qu’il n’ait commencé est «une stratégie marketing habile, mais admissible».
Tout n’était donc qu’allégresse. Oubliée, la plainte de l’association de défense des consommateur·ice·s… tout comme les autres échecs publics de l’entreprise (qui, soit dit en passant, affirme incarner totalement les valeurs de la Suisse). Son image a notamment souffert dans les domaines de la durabilité et du droit du travail. La qualité d’abord médiocre de ses chaussures ou encore l’enquête de K-Tipp révélant que, sur un prix d’achat d’environ 200 francs, à peine un dixième revient à celles et ceux qui fabriquent effectivement les chaussures. Un contraste frappant avec les salaires à plusieurs millions que se versent les fondateurs de l'entreprise.
Bien loin de cette soirée de béatitude tout helvétique, les travailleurs et travailleuses du Vietnam (sans qui les bras robotiques flambant neufs n’auraient rien à recouvrir de thermoplastique) n’étaient pas sur la liste des invité·e·s. La semelle de ces chaussures «Made in Switzerland» continue, en effet, d’être produite dans les usines du pays.
Selon M. Mesot, On et son site de Zurich attirent les meilleurs talents du monde. Reste qu’il n’est pas prévu que celles et ceux qui fabriquent physiquement les chaussures habitent aussi en Suisse; la main-d’œuvre ne peut donc pas profiter de l’excellente qualité de vie zurichoise. Ils et elles continueront de travailler au Vietnam, où l’on gagne en un mois à peine l’équivalent du prix que l’on paye ici pour une paire de On.

Croix suisse sur le torse, On souhaite donc rejoindre les premiers rangs mondiaux dans plusieurs domaines: innovation, marketing, ventes, salaires de la direction. Mais il y a tout de même un domaine où l’esprit sportif est moins présent et où la philosophie de On, telle que décrite par Coppetti – «Radical, courageux, toujours à contre-courant» –, ne semble pas être valable: la durabilité et les droits des travailleuses et travailleurs.
Il faut admettre que l’entreprise, ces dernières années, a intensifié ses efforts pour faire en sorte que les salaires versés à la main-d’œuvre des usines du Vietnam suffisent au moins à lui permettre de vivre (c’est en tout cas ce qu’affirme son dernier «Impact Progress Report»). Des informations difficiles à vérifier: le Vietnam est un État répressif, dans lequel il n’existe aucun syndicat libre et où les journalistes sont en danger.
Dans ce contexte, les évaluations des plateformes de notations sont aussi à prendre avec des pincettes. Elles fournissent tout de même des indications. Selon l’évaluation actuelle de «Good on You», dans la catégorie «People», qui englobe notamment les droits des travailleurs et des travailleuses, On obtient à peine 2 points sur 5. L’agence de notation ESG Sustainalytics, qui évalue les risques en matière de développement durable pour celles et ceux qui souhaitent investir, indique aussi que On est dans le milieu du peloton, avec un risque nettement plus élevé que celui de ses concurrents Asics et Adidas.
Chers fondateurs et chères fondatrices de On: toutes nos félicitations pour l’ouverture du premier site de production robotisé au monde. Nous sommes ravi·e·s qu’il émette nettement moins de CO2 qu’un site conventionnel. Nous nous permettons cependant de vous rappeler, au milieu de toutes ces réjouissances, l’existence de vos travailleurs et travailleuses au Vietnam, sans qui aucune chaussure On ne serait portée ni dans les stades ni dans les rues. De plus, nous voudrions vous encourager à viser l’excellence mondiale aussi pour les conditions de travail sur votre chaîne de valeur. Ne vous contentez pas des standards minimums bien trop souples, mais sortez du lot et montrez la voie!
Il n’est pas exclu que cela soit aussi un bon argument de vente…
«Dream on» (On)

Florian Blumer est journaliste de formation et travaille depuis deux ans chez Public Eye en tant que reporter et chercheur. En écrivant ce texte, les paroles de la chanson des Black Keys «Everybody’s on the game» lui trottaient dans la tête.
Contact: florian.blumer@publiceye.ch
Ce texte est une traduction de la version originale en allemand.
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