Campagne «Protéger les patient·e·s, pas les brevets»

En collaboration avec la Ligue suisse contre le cancer, Public Eye a lancé une grande campagne au niveau national en 2018, demandant au Conseil fédéral de prendre des mesures de politique intérieure et extérieure pour lutter contre une médecine à deux vitesses et garantir enfin des médicaments abordables pour toutes et tous. Car les prix élevés des médicaments ne sont pas une fatalité ! Ils peuvent et doivent être combattus par nos autorités.

Si le manque d’accès aux médicaments vitaux concernait autrefois les pays économiquement plus faibles, il touche aujourd’hui aussi de plein fouet les pays riches comme la Suisse. Les gouvernements sont impuissants face à la toute-puissance des géants de la pharma. Ils n’arrivent pas à faire baisser les prix de manière significative et à garantir ainsi le droit à la santé de leur population. Le système étatique actuel de contrôle des prix est inefficace concernant les médicaments brevetés en situation de monopole.

«J’ai besoin de 100 000 francs pour un médicament contre le cancer». C’est par ce message de détresse d’une (fausse) patiente contrainte de mendier pour avoir une chance de se soigner que Public Eye dénonçait ce véritable scandale, encore peu thématisé au pays de la pharma. Et ce malgré l’explosion des coûts de la santé et des primes d’assurance-maladie, source d’angoisse pour un nombre croissant de personnes en Suisse. Filmée, cette action symbolique menée sur la très huppée Paradeplatz zurichoise, puis devant le CHUV à Lausanne, a permis de «prendre le pouls» de la population sur cette question, avec des réactions très contrastées. Indifférence et agacement sur la rue la plus chère du célèbre Monopoly; révolte partagée devant l’hôpital universitaire lausannois, l’un des principaux centres d’oncologie du pays. Sur les réseaux sociaux, notre campagne a également suscité de nombreuses réactions. Afin de prendre la température des députés sur le sujet, nous avons envoyé notre fausse mendiante aux abords du Palais fédéral pour interpeller des parlementaires. 

La licence obligatoire: un instrument efficace pour faire baisser les prix

Les brevets sont l’une des principales causes de l’explosion des prix des médicaments. Fortes d’un monopole et d’une exclusivité commerciale, les pharmas peuvent en effet fixer les prix presque comme bon leur semble. Les mécanismes étatiques de contrôle sont insuffisants. Les coûts réels de la recherche et développement (R&D) sont par ailleurs l’un des secrets les mieux gardés de l’industrie pharmaceutique, qui invoquent le sacro-saint «secret des affaires» à tout-va et à leur avantage. Alors que la Suisse a longtemps été une farouche opposante aux brevets sur les produits pharmaceutiques, elle les défend aujourd’hui avec véhémence.

En tant que pays hôte des géants de la pharma – Novartis et Roche – la Suisse a une responsabilité particulière. Pourtant, au lieu de garantir l’accès à des médicaments vitaux pour tous, les autorités helvétiques préfèrent défendre les intérêts de leur industrie pharmaceutique (responsable avec l’agrochimie de près de la moitié des exportations suisses). En particulier dans le cadre des négociations internationales autour de la mise en œuvre de l’Accord ADPIC, le gouvernement helvétique adopte une position restrictive et exerce une pression politique et économique sur les pays qui tentent de faire usage des flexibilités prévues par ces accords sur des médicaments suisses.

La licence obligatoire est l’instrument le plus efficace dans le système actuel pour faire baisser les prix et garantir l’accès aux médicaments vitaux pour tous. Elle permet à un tiers (par exemple un fabricant de génériques) de produire et commercialiser un produit similaire malgré l’existence d’un brevet. Mais la licence obligatoire fait aussi l’objet de campagnes de désinformation agressives et de pressions diplomatiques, car elle menace les intérêts financiers des pharmas.

Le rapport «Protect patients, not patents» (2018), fruits de recherches menées par Public Eye, explique tout ce que vous devez savoir sur les prix excessifs des médicaments, le modèle d’affaire problématique de l’industrie pharmaceutique et les solutions efficaces pour y remédier. 

Alors que le cancer est l’une des principales causes de décès dans le monde, les prix des traitements ont atteint des sommets. En Suisse, les anticancéreux représentent une part importante des coûts de la santé dus aux médicaments. Il est devenu fréquent qu’un traitement coûte plus de 100 000 francs par an et par personne. Le rapport examinait en particulier la combinaison de deux anticancéreux du géant bâlois Roche, l’Herceptin (plus de 70 milliards de francs de revenus depuis son lancement) et le Perjeta, introduit en 2012 et dont le rapport coût-efficacité était jugé défavorable. Roche commercialise 3 anticancéreux sur 4 contre ce type de cancer du sein (HER2+) et dispose d’une position dominante dans ce domaine.

Public Eye a dès lors appelé le Conseil fédéral à utiliser, en Suisse, l’instrument de la licence obligatoire et à cesser toute pression sur les États qui veulent faire ce pas.

 

Déconstruire les mythes autour de la licence obligatoire

Les gouvernements des pays industrialisés n’hésitent pas à discréditer la licence obligatoire en propageant de fausses vérités. Ils affirment par exemple qu’une licence obligatoire équivaut à une expropriation de brevet, qu’elle entraîne le recul des investissements ou qu’elle n’est justifiée qu’en cas d’urgence ou de situations extrêmes.

En réalité, la licence obligatoire n’est pas un instrument disproportionné car le brevet concerné reste en vigueur. En outre, une indemnité financière (sous forme de royalties) est prévue pour le détenteur du brevet, qui peut par ailleurs continuer à commercialiser son produit.

Les firmes pharmaceutiques et les pays qui hébergent les plus grandes d’entre elles prétendent souvent que les licences obligatoires freinent l’innovation et l’investissement en R&D. Cet effet n’est toutefois pas démontré – pas plus d’ailleurs que l’affirmation selon laquelle les brevets stimuleraient l’innovation. Au contraire, l’expérience de plusieurs pays ayant eu recours souvent – et parfois sur de longues périodes – à la licence obligatoire (comme le Canada ou les Etats-Unis) ne montre aucun affaiblissement de l’innovation. Cette expérience montre parfois même une augmentation de l’investissement en R&D. Il n’existe pas non plus de preuves permettant d’affirmer qu’une licence obligatoire met en péril les investissements directs étrangers.

Grâce à la licence obligatoire le gouvernement suisse dispose pourtant d’une grande marge de manœuvre. Le recours à cet instrument légal et légitime au pays des pharmas permettrait non seulement de garantir la pérennité du système suisse de santé, mais enverrait aussi un signal clair au niveau international, motivant d’autres États à faire de même. Ceci ouvrirait la voie de l’accès aux médicaments vitaux pour des millions de personnes.

Un grand nombre de spécialistes, en Suisse et à l'international, «prescrivent» la licence obligatoire pour lutter contre les prix abusifs des médicaments. Ils demandent aussi aux autorités suisses d’agir au cœur du problème. Nous leur donnons la parole.

L'avis des expert·e·s

Public Eye demande une licence obligatoire en Suisse

Plus de 33'000 personnes ont soutenu notre appel collectif, demandant au Conseil fédéral de s’engager contre les prix exorbitants des médicaments et d’avoir recours aux licences obligatoires lorsque la situation l’exige. Public Eye a remis en septembre 2018 ces signatures au Département fédéral de l’intérieur (DFI). 

Afin d’inciter le ministre de la Santé à agir, Public Eye a fait une démarche inédite en Suisse en janvier 2019, en rédigeant pour lui une demande de licence obligatoire sur le Perjeta de Roche, un médicament contre le cancer du sein très lucratif. Dans une lettre ouverte, l’ONG a encouragé Alain Berset à déposer cette requête auprès du Tribunal fédéral des brevets.

Presque trois mois après le dépôt de notre requête de licence obligatoire demandant de lever le monopole sur le Perjeta du fait de son prix excessif, le ministre de la Santé nous a répondu en avril 2019 par la négative. Rien de bien surprenant, si ce n’est la forme laconique et l’absence totale de recherche de dialogue. Ce ne sont pourtant pas les défis qui manquent: comment nos autorités comptent-elles intervenir lors d’abus manifestes dans la fixation des prix (rééquilibrage des forces)? Comment peut-on fixer le prix d’un médicament sans connaître les investissements réels consentis (transparence) ? Là aussi, Berne se mure dans le silence.

Public Eye continuera à plaider pour le recours à la licence obligatoire, un instrument légal, approprié et efficace pour lutter contre les prix abusifs.
 

  • © Sebastien Gerber
  • © Sebastien Gerber
  • © Sebastien Gerber
Plus de 33'000 personnes ont soutenu notre appel collectif.

Public Eye Magazine Médicaments: des prix de malades