Russie

Des patients craintifs et vulnérables, des médecins intéressés qui courent les mandats, des autorités impuissantes ou corrompues, des pharmas qui délèguent le suivi de leurs essais, et une loi devenue illisible: ce cocktail est à la base de nombreuses violations éthiques en Russie, un pays où les firmes suisses mènent plusieurs dizaines d’essais cliniques.

La Russie a légiféré en 2010 sur la mise en place de comités d’éthique décentralisés, tout en maintenant le comité central au niveau du Ministère de la santé. Malgré ces changements, la situation est loin d’être optimale: d’un côté, un comité «officiel» qui a le pouvoir d’interdire un essai, mais qui est débordé ; de l’autre, des comités «locaux» qui, lorsqu’ils existent, se penchent davantage sur les dossiers, mais n’ont aucun pouvoir de décision. Les conflits d’intérêts sont également fréquents. Dans un hôpital de Moscou, par exemple, le médecin responsable d’un essai n’est autre que le président du comité d’éthique chargé de l’évaluer. Interrogé, il dit ne pas voir le problème.

Les médecins en Russie n’hésitent pas à recruter des patients sur internet, allant jusqu’à parler de «programmes d’observation» plutôt que de tests de médicaments comportant des risques pour celles et ceux qui y participent. Comme ils bénéficient des essais d’un point de vue financier  – une rémunération pouvant représenter plusieurs fois leur salaire de base – les médecins multiplient cette activité à outrance.

La situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvent la plupart des patients est également dangereuse. En cas d’effets secondaires importants, les participants et participantes préfèrent garder les médicaments chez eux plutôt que de les consommer, par crainte d’être exclus. Une attitude qui biaise les résultats des essais cliniques.

Novartis mise en cause par des patients

Dans le cadre de notre enquête, nous avons pu interroger des personnes ayant participé à une étude de Novartis sur le Gilenya (un médicament contre la sclérose en plaques). Elles dénoncent plusieurs violations éthiques: signature du formulaire de consentement après le début du traitement, absence de dédommagement pour les effets secondaires ou encore interruption du traitement à la fin de l’essai. Alors que le formulaire de consentement prévoit une police d’assurance en cas de problèmes, les indemnisations semblent inexistantes en Russie. Entre 2007 et 2009, aucun des quelque 70 000 patients assurés n’a été dédommagé.

Faute de moyens, les inspecteurs de l’agence du médicament russe sont totalement impuissants. D’autant plus que la législation ne leur permet pas d’infliger des sanctions sérieuses aux médecins investigateurs ou aux sites d’essais cliniques qui ne respectent pas la loi. Comme les comités d’éthique, les inspecteurs ne sont pas autorisés à rencontrer les patients. Interrogé, un inspecteur a même dénoncé «des recherches fantômes» sans patient ni médecin responsable. Des accusations confirmées par le responsable d’une CRO (Contract Research Organizations), une entreprise sous-traitante mandatée par les pharmas pour mener les essais cliniques.

Ces enquêtes n’ont  pas fait (et ne feront a priori pas) l’objet d’un suivi ou d’une mise à jour spécifique – les résultats tels qu’ils figurent sur ce site sont donc ceux obtenus lors de nos recherches en 2013.

Rapport d'enquête de Public Eye: Les essais cliniques en Russie (2013)