Exiger des analyses d'impact sur les droits humains

© Carine Pionetti
Sous la pression d’États industrialisés comme la Suisse, de nombreux pays en développement sont contraints d’adopter une législation plus stricte en matière de protection des variétés végétales. En collaboration avec des ONG partenaires, Public Eye a mené une étude d’impact inédite qui démontre la menace que cette mise à niveau forcée représente pour le droit à l’alimentation.

Depuis des années, Public Eye critique la pression exercée par la Suisse et d’autres pays industrialisés sur les pays en développement, afin qu’ils deviennent membres de l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV). En adhérant à cette organisation intergouvernementale, les États s’engagent à ancrer dans leur législation nationale des mesures plus strictes pour la protection des semences et des obtentions végétales commercialisés par des multinationales, comme Syngenta. Les pays du Sud n’étaient pas assis à la table des négociations lorsque le système de l’UPOV a été élaboré – un constat dénoncé par Public Eye depuis longtemps. Par conséquent, l’UPOV ne répond pas aux besoins de ces pays.

« Owning Seeds, Accessing Food »

Une étude d’impact sur les droits humains publiée en octobre 2014 montre pour la première fois la menace existentielle que la mise à niveau forcée de la législation en matière de protection des variétés végétales représenterait pour les familles de petits agriculteurs du Sud, qui dépendent de la reproduction conventionnelle des semences. Réalisée par Public Eye en collaboration avec d'autres ONG, l’étude « Owning Seeds, Accessing Food » (en anglais) décrit comment ces mesures restreignent massivement la possibilité pour les familles de petits paysans d’utiliser des semences protégées issues de leurs propres récoltes. Concrètement, les standards de l’UPOV interdisent aux paysans d’échanger et de vendre, voire même d’utiliser, les semences qu’ils ont eux-mêmes produites.

Die strengen Sortenschutz-Gesetze schränken Kleinbauern und –bäuerinnen bei der Verwendung von geschütztem Saatgut aus der vorjährigen Ernte stark ein.

Les accords bilatéraux de libre-échange (ALE) sont souvent utilisés comme leviers pour pousser les pays en développement à adhérer à l’UPOV. La Suisse a d’ailleurs souvent posé de telles exigences dans les négociations d’accords bilatéraux. Par ailleurs, elle a toujours refusé de réaliser des études d’impact sur les droits humains (Human Rights Impact Assessments, HRIA). Menées avant la conclusion de tels accords, ces études permettraient de s’assurer que les conditions exigées n’auront pas de répercussions négatives sur la situation alimentaire dans les pays partenaires. Dans sa réponse à l’interpellation faite par la conseillère nationale Claudia Friedl (en allemand) en mars 2015 à l’encontre du renforcement des lois de protection des obtentions végétales dans les accords de libre-échange, le Conseil fédéral s’est montré entêté dans son refus de mener des études d’impact sur les droits humains.

Des résultats rassurants

Face à l’inaction du gouvernement suisse et à la pression croissante subie par les pays du Sud, Public Eye a pris l’initiative de réaliser, en collaboration avec des ONG partenaires, une étude d’impact sur les droits humains. Réalisée avec des spécialistes du Kenya, du Pérou et des Philippines, cette étude a analysé les répercussions des restrictions découlant de l’adhésion à l’UPOV sur le droit à l’alimentation de populations marginalisées de ces pays. Les résultats sont alarmants : La plupart des producteurs dans les pays du Sud dépendent de systèmes informels pour accéder aux semences et aux obtentions végétales, c’est-à-dire qu’ils accèdent également aux semences commerciales par leur propre obtention, par l’échange avec d’autres exploitants, ou par l’achat à d’autres exploitants sur les marchés locaux. Si ces systèmes informels sont entravés par des lois plus strictes, comme celles imposées par l’UPOV, cela complique l’accès aux semences et représente une menace pour le droit à l’alimentation des petits exploitants agricoles. Les lois sur la protection des variétés végétales rendent illégales les pratiques traditionnelles liées à l’obtention, à l’utilisation durable et à la reproduction des semences. À moyen terme, la perte de ce savoir traditionnel met également en danger le droit à l’alimentation.

© Carina Pionetti
Nicht nur Früchte und Gemüse, auch das Saatgut wird in den untersuchten Ländern grossteils auf lokalen Märkten gehandelt.

La Suisse doit agir

Nos revendications Public Eye et ses partenaires adressent les revendications suivantes aux gouvernements, en particulier aux autorités suisses :

  • Avant de transcrire les standards de l’UPOV dans leur droit national, les gouvernements doivent impérativement mener une étude d’impact sur les droits humains.
  • Afin de protéger les petits exploitants, les gouvernements doivent utiliser la marge de manœuvre garantie par l'Accord de l’OMC sur les ADPIC ou par d’autres accords internationaux comparables. Des alternatives existent !
  • Dans ses accords de libre-échange, la Suisse doit s’abstenir de formuler des clauses relatives à la protection des variétés.
  • Le Conseil fédéral doit enfin accepter de réaliser des études d’impact sur les droits humains avant de conclure des accords de libre-échange. C’est le seul moyen de garantir qu’il respecte ses devoirs internationaux en matière de droits humains.

Au côté de ses partenaires, Public Eye a fait part de ses revendications aux autorités compétentes. Nous nous adressons aux décideurs politiques suisses ainsi qu’aux organes de défense des humains de l’ONU et à la FAO pour faire connaître les résultats de cette étude inédite. L’étude et la fiche d’information correspondante sont disponibles en plusieurs langues.