La politique commerciale et la Suisse

Les exigences de la Suisse en matière de libéralisation des échanges sont hypocrites et mues par des motifs égoïstes. Ceci apparaît de manière claire dans le cadre des échanges commerciaux de produits agricoles, où la Suisse ne veut soudain plus rien savoir du libre-échange et compte parmi les pays les plus protectionnistes. Cette position est légitime, pour autant que la Suisse accepte aussi que d'autres pays veuillent maintenir leur protection douanière dans le secteur industriel ou des services. Elle fait également pression sur les pays en développement pour qu’ils ouvrent leurs marchés dans les secteurs de la finance et du tourisme, risqués en termes de politique de développement. En 2008 – en pleine crise financière – la Suisse a fait avancer la libéralisation dans le domaine des finances dans le cadre de l’Accord général de l’OMC sur le commerce des services (AGCS, GATS en anglais).
Une distinction est faite entre politique commerciale multilatérale, plurilatérale et bilatérale. La première est une politique à laquelle participent tous les états, la deuxième régit les relations commerciales transfrontalières entre des groupes de pays, et la dernière entre deux pays. Ces dernières années, la tendance est à accorder de plus en plus d’importance à l’approche plurilatérale, par laquelle un groupe d’États définissent des règles commerciales communes à travers des accords régionaux ou sectoriels.

La Suisse favorable au renforcement des droits des brevets
Dans le cadre de négociations multilatérales et bilatérales, la Suisse se bat toujours en première ligne pour obtenir une protection accrue des droits de propriété intellectuelle. Celle-ci ne répond pas aux besoins des pays du Sud. Bien au contraire : dans l'agriculture, elle conduit à une diminution de l'autonomie des paysans et paysannes en matière de semences, avec des conséquences dramatiques sur le droit à l’alimentation. Des droits de propriété intellectuelle plus stricts retardent aussi l'introduction de génériques abordables, ce qui rend plus difficile l'accès à des médicaments abordables.
Ce constat s’est également imposé au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Lorsque l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) est entré en vigueur en 1995, une période de transition de vingt ans seulement a été accordée aux pays les moins avancés (PMA) Avant son échéance, ces pays ont exercé leur droit et demandé à l'OMC une prolongation illimitée de ce délai, tant que le pays figure sur la liste des PMA. La Suisse a émis des réserves tatillonnes et refusé de soutenir sans conditionnalités la requête des PMA.

Dans le cadre des accords bilatéraux de libre-échange, la Suisse déploie beaucoup d’énergie pour renforcer les droits de propriété intellectuelle. Ainsi, dans les négociations entre l’AELE et l’Inde, elle pose des exigences qui retardent et empêchent l’entrée sur le marché de médicaments génériques. Ces exigences vont même trop loin pour la Norvège, partenaire de la Suisse au sein de l’AELE, qui s’est retirée des négociations concernant les aspects de propriété intellectuelle. Avec raison : différents comités pour les droits humains de l’ONU, des spécialistes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’ONG Médecins sans frontières mettent depuis longtemps en garde contre les conséquences négatives des dispositions dites ADPIC+ sur le droit à la santé. La Suisse soutient néanmoins que ses revendications amélioreront, à terme, l’accès à des médicaments innovants et garantiront une protection appropriée du droit à la santé.
Les connaissances scientifiques elles-mêmes n’ont aucune prise sur l’entêtement de la Suisse. Déjà en 2010, un article de la revue médicale Journal of the International AIDS Society, basé sur une vaste enquête, mettait en garde contre « les nouvelles exigences en matière de propriété intellectuelle liées aux accords bilatéraux [qui] peuvent renchérir le prix des médicaments contre le sida, empêcher le développement de modes d’application plus appropriés et retarder l’accès à de nouveaux médicaments plus efficaces ».