La Suisse doit imposer les bénéfices de guerre des négociants

Alors que la sécurité alimentaire et énergétique de millions de personnes est gravement menacée en raison de l’augmentation des prix de la nourriture et des matières premières, Glencore, Cargill et consorts enregistrent des bénéfices records, nourris par trois années de crise. Le secteur des matières premières représente désormais 8% du produit intérieur brut (PIB) helvétique, soit presque autant que la place financière. Malgré ce poids croissant, la Suisse ne s’est toujours pas dotée d’une autorité de surveillance spécifique pour encadrer ce secteur à haut risque. Elle refuse aussi d’introduire un impôt sur les bénéfices exceptionnels réalisés par les négociants durant la pandémie et la guerre en Ukraine.

Plus les crises sont aigües, plus les fluctuations sur les marchés des matières premières sont fortes, et plus les bénéfices des négociants sont élevés. Si les années 2020 et 2021, marquées par la pandémie de Covid-19, étaient déjà très rentables pour la plupart des maisons de négoce, le premier semestre 2022 a permis aux discrètes sociétés qui pilotent leur commerce depuis la Suisse d’engranger des bénéfices records. Le numéro 1 mondial du négoce agricole, Cargill, qui mène ses activités commerciales et de fret depuis Genève, a vu ses profits augmenter de 141% au cours de l’exercice financier de juin 2021 à mai 2022 par rapport à leur moyenne avant la pandémie. Il a ainsi enregistré près de 6,7 milliards de dollars US de bénéfices. Quant à Glencore, qui annonçait des pertes massives en 2020, il a engrangé en 2021 quelque 5 milliards de dollars de bénéfices, soit une augmentation de 661%. Le géant zougois a encore battu ce record au premier semestre 2022, en réalisant un profit de 12 milliards de dollars, notamment grâce au boom de la plus polluante des sources d’énergie, le charbon. 

Le rapport «Les négociants en matières premières ne connaissent pas la crise», publié aujourd’hui par Public Eye, ne met pas seulement en exergue l’excellente marche des affaires de ces grands groupes, il montre également comment la guerre et le chaos profitent à une poignée de milliardaires. Les résultats historiques de Cargill, Glencore et leurs concurrents ont entraîné une forte croissance du secteur à haut risque des matières premières, qui se reflète également au niveau de son poids dans l’économie helvétique. Selon les statistiques de la Banque nationale suisse, la valeur créée par les négociants s’élevait en 2017 à 25 milliards de francs, soit 3,8% du produit intérieur brut (PIB). En 2021, elle a plus que doublé pour atteindre environ 58,5 milliards de francs: le négoce de matières premières constitue alors 8% du PIB helvétique – presque autant que l’ensemble de la place financière (9,1%). L’Administration fédérale, les médias et le secteur lui-même parlent toujours de 3,8% du PIB, bien que ce chiffre soit dépassé. Au vu des résultats semestriels sans précédent affichés par les négociants, nourris par la guerre en Ukraine, leur contribution au PIB est certainement encore plus élevée en 2022. 

La responsabilité de la Suisse en tant que pays hôte des principaux négociants en matières premières, attirés dans notre pays par une politique fiscale au rabais et l’absence de régulation, augmente encore à mesure que croît ce secteur explosif. Depuis 2007, la place financière helvétique, qui présente aussi de nombreux risques, est soumise au contrôle d’une autorité de surveillance des marchés financiers, la Finma. Au regard de son poids dans l’économie nationale, mais aussi des nombreux scandales qui l’éclaboussent, il est grand temps que la Suisse se dote d’une base légale et d’une autorité spécifique pour le secteur des matières premières (la Rohma). Le Conseil fédéral et le Parlement doivent par ailleurs veiller à une redistribution équitable de ces «bénéfices exceptionnels», qui résultent principalement de la pandémie et de la guerre en Ukraine: multiplier les profits en temps de crise, comme dans le cas de Glencore, est illégitime. Pour agir à la mesure des enjeux, la Suisse doit par conséquent, à l’instar de l’Union européenne et d’autres pays, introduire au plus vite un impôt spécial sur ces profits.  

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