La carte mondiale des mines suisses

La carte mondiale des mines suisses

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L’effondrement de Kolwezi

Un drame survenu sur une concession de Glencore illustre les dangers de la ruée vers le cobalt en RDC, où des creuseurs artisanaux sont prêts à risquer leur vie pour une part dérisoire des ressources nationales.

Entre la mine et le creuseur, il y a comme une très ancienne querelle.

À Kolwezi, en République démocratique du Congo, les mines ne cessent de grignoter le territoire, à mesure que les multinationales des métaux extraient les précieux cuivre et cobalt à coups d’explosifs et de pelleteuses.

Les promesses de la transition énergétique amènent parfois les cours boursiers à tutoyer les sommets. Alors, dans une des régions les plus pauvres au monde, des milliers de Congolais∙e∙s se pressent autour des concessions octroyées aux grands groupes miniers, «creusant» le sol à la pioche pour décrocher leur part du gâteau, à peine quelques miettes parfois enfouies dans des galeries à 50 mètres sous terre.

Les accidents sont fréquents. Comme ce jeudi 27 juin 2019 sur le site de la Kamoto Copper Company (KCC), une filiale de Glencore, où s’activent jusqu’à 2000 creuseurs par jour. L’effondrement de deux galeries «artisanales», sur une portion non exploitée de la concession du groupe zougois, a viré au drame. Trente mineurs indépendants sont morts, selon Glencore, qui s’est empressé de souligner l’illégalité de leur activité dénuée de «liens» avec celle de KCC. Les estimations de la Croix-Rouge locale évoquent, elles, jusqu’à 80 décès.

Mais qu’importent les risques quand on a faim. «C’est effrayant là en bas», expliquait un creuseur de Kolwezi, cité par le média public belge RTBF. «C’est dangereux mais on n’a pas le choix. Nous ne sommes pas nés dans des familles riches, alors on doit bien faire ce métier. Ici, il n’y a rien d’autre à faire.» Au lendemain du tragique accident, les creuseurs étaient déjà de retour, cette fois repoussés par l’armée congolaise appelée en renfort.  

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La soif de cuivre chilien

Au cœur du désert d'Atacama, BHP surexploite les précieuses ressources en eau pour ali-menter ses mines de cuivre, causant des dommages irréversibles à l’écosystème.

Le désert d'Atacama est l'un des endroits les plus arides de la planète. Il abrite un immense trou, la mine de cuivre Escondida, exploitée par le groupe minier australien BHP. Elle se trouve à proximité du salar «Punta Negra», l'un des rares îlots d'eau de la région.

Mais au lieu de gérer avec soin les réserves d'eau souterraines, BHP les a systématiquement exploitées pendant plus d'une décennie au-delà du volume maximal autorisé au Chili. C'est ce qu'a écrit l'autorité chilienne chargée des poursuites pénales CDE en 2020, après que le groupe a prélevé l'année précédente trois fois plus d'eau que ce qui avait été convenu avec le gouvernement.

Comme le prélèvement d'eau avait causé «des dommages continus, cumulatifs, permanents et irréparables» à l'écosystème, l'autorité a engagé des poursuites contre l’exploitant minier. Après que celui-ci s'est engagé à verser jusqu'à 93 millions de dollars US à titre de réparation, la procédure a été réglée par un accord à l’amiable en 2021. La mine de cuivre la plus productive au monde – dont BHP commercialise les matières premières via une société commerciale à Zoug – a été autorisée à poursuivre l’extraction. 

Quelques mois plus tard, un jugement rendu par le Premier tribunal environnemental du Chili a souligné la forte pression exercée par la production de cuivre de BHP sur les ressources en eau limi-tées du pays. Il a ordonné à une autre mine de cuivre de BHP, Cerro Colorado, de mettre immédiatement fin au prélèvement d'eau. Le groupe a cessé la production.

Aujourd'hui, l'extraction du cuivre reste très gourmande en eau, et la transition énergétique a de surcroît fait grimper sa demande et son prix. C'est sans doute pour cette raison que BHP souhaite remettre en service Cerro Colorado et continuer à développer toutes ses mines chiliennes. Selon le groupe, seul un obstacle se dresse sur son chemin: la «bureaucratie».

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L’apocalypse selon Vale

L’effondrement d’un barrage minier à Brumadinho a provoqué la mort de 272 personnes, révélant les graves négligences du géant minier et les défaillances des contrôles de sécurité au Brésil.

C’est l’une des pires catastrophes sociales et environnementales de l’histoire du Brésil. Ce 25 janvier 2019, il est à peine midi et demi dans la région de Brumadinho, dans l’État de Minas Gerais. La plupart des mineurs du groupe brésilien Vale sont en train de déjeuner à la cantine quand une coulée de 13 millions de mètres cubes fond sur eux à une vitesse atteignant 80 km / h. Les digues du barrage en amont viennent de céder; la coulée de boue et de déchets miniers emporte violemment sur son passage les arbres, remblais et infrastructures. Elle tuera 272 personnes.

Pour Vale, qui exploite le barrage, c’est la deuxième rupture de ce type en un peu plus de trois ans. Les statistiques officielles brésiliennes venaient pourtant de répertorier quelque 200 barrages à risque comme celui de Brumadinho, le quart étant exploité par le groupe qui mène depuis 2006 ses opérations commerciales depuis sa filiale de Saint-Prex (VD).

L’enquête de la justice brésilienne pose rapidement la question du sérieux des contrôles techniques sur ce type d’infrastructures. Après avoir échoué à valider la stabilité du barrage de Brumadinho, Vale se tourne vers le groupe allemand de certification TÜV Süd, auprès de qui il est soupçonné d’avoir fait pression pour obtenir son blanc-seing. Malgré des courriers internes alertant de la menace imminente que représentait le barrage, la filiale brésilienne de TÜV Süd finit par certifier le barrage.

Vale affiche désormais sur son site le slogan «Nous n’oublierons jamais Brumadinho». Il faut l’espérer.  

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Les cendres toxiques du projet Fénix

Sur une terre meurtrie par la violence, le groupe Solway poursuit ses activités minières, avec la complicité des autorités du Guatemala et au mépris des droits des communautés autochtones.

Le projet d’extraction de nickel est né dans les années soixante au nord-est du Guatemala, au début d’une guerre civile (1960-1996) qui laissera plus de 200 000 victimes. En 1978, l’armée est mobilisée par le régime militaire en place pour réprimer tout mouvement social et protéger les investissements étrangers. Quelque 700 membres de la communauté indigène Q’eqchi’ se rassemblent sur la place de Panzós, une localité à une quarantaine de kilomètres de la mine, pour protester contre le vol de leurs terres. Cinquante-trois personnes désarmées sont massacrées par balle.

En 2011, le groupe zougois Solway Investment Group rachète les actifs en mains d’une société canadienne, dont la gestion a été émaillée par des accusations d’expulsions forcées, de violences physiques ou sexuelles.

Les activités minières de Fénix sont relancées trois ans plus tard via la filiale locale de Solway, Compañía Guatemalteca de Níquel (CGN). Mais les Q’eqchi’, majoritaires dans la région, disent ne pas avoir été consultés et allèguent que le lac Izabal aurait été contaminé par des métaux lourds. En vertu notamment de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, les peuples indigènes doivent être consultés avant « tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires et autres ressources ». La Cour constitutionnelle du Guatemala a décrété, en juin 2020, la cessation des activités jusqu’à ce qu’une étude d’impact environnemental complète soit réalisée et qu’une consultation légale et respectueuse des communautés autochtones soit menée.

Mais l’extraction s’est poursuivie avec la complicité de certains hommes politiques guatémaltèques. En 2021, les forces antiémeutes du pays ont notamment chargé pour forcer les barrages des manifestants qui bloquaient les camions de CGN. Des documents ayant fait l’objet d’une fuite au sein du groupe Solway ont récemment démontré que les dirigeants savaient que leurs activités minières étaient responsables de la pollution du lac Izabal. Le groupe a aussi été accusé de pressions sur les journalistes et la communauté locale (un pêcheur a été tué par la police lors d’une manifestation en mai 2017) ainsi que de trafic d’influence pour faire fléchir l’opposition au projet Fénix.  

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Jusqu’au dernier bout de charbon

Malgré ses engagements en faveur du climat, Glencore ne cesse de renforcer sa présence dans la plus polluante des énergies fossiles en rachetant de nouvelles mines au Canada.

Le dicton est bien connu: les promesses n’engagent que ceux qui les croient. Et dans l’art des enga-gements sans lendemain, Glencore ne connaît plus de maître.

Suite à l’Accord de Paris fin 2015, la multinationale de Zoug s’était engagée à se débarrasser graduellement de ses mines de charbon en vue d’atteindre le «Net Zero» émissions de CO2 d’ici à 2050. En février 2019, elle décidait – pour rassurer ses investisseurs – de «geler» sa production de charbon à 150 millions de tonnes par an. Enfin, Glencore avait lancé, en 2023, une offre publique d’achat hos-tile envers son rival canadien Teck Resources. Le but: fusionner leurs actifs dans un méga groupe minier et sortir les activités charbon dans une spin-off.

En parallèle pourtant, Glencore: 1) a racheté la totalité de la plus grande mine à ciel ouvert d’Amérique latine (Cerrejón, en 2021), 2) s’est débarrassé de son cap annuel de production de 150 millions de tonnes, un montant plafond qu’elle n’avait de toute façon jamais atteint dans son his-toire et 3) a finalement décidé de ne racheter, pour près de 7 milliards de dollars, que les mines de charbon de Teck au Canada, et de conserver les actifs charbon en son sein.

Situées en Colombie britannique, les opérations de la Elk Valley regroupent quatre mines à ciel ou-vert pour une production annuelle de quelque 25 millions de tonnes de charbon. Le peuple indigène Ktunaxa/Kootenai était en conflit depuis des décennies avec Teck, qu’il accuse d’avoir pollué les eaux au sélénium, faisant drastiquement diminuer la quantité de poissons. Qu’il ne se réjouisse pas trop vite du changement de propriétaire: Glencore entend agrandir l’une des mines et en poursuivre l'exploitation jusque dans les années 2070. 

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Pas de plan de sortie pour le charbon est-allemand

Le groupe EP engrange des bénéfices grâce au lignite allemand. Il n’est toutefois pas certain qu’il reste suffisamment d’argent pour financer la revégétalisation après 2038.

l n’existe pas de source d’énergie plus nocive pour le climat que le lignite. Et même si l’Allemagne souhaite se séparer de ce charbon de qualité inférieure d’ici 2038, un milliardaire tchèque s’est assuré de lui faire un dernier tour de piste, dans la région de Lusace en Allemagne de l’Est.

Daniel Křetínský, dont la fortune est estimée à 9,6 milliards de dollars par le magazine économique américain Forbes, détient des parts dans un club de football londonien de premier plan. Mais il contrôle également – via le groupe EP – la société commerciale EP Resources dont le siège social est situé à Zoug, centre névralgique de l’industrie charbonnière. Cette dernière commercialise principalement du «combustible de transition». Un néologisme visant à embellir l’image du charbon sale provenant des cinq mines à ciel ouvert allemandes que contrôle le groupe.

De nombreuses organisations environnementales avertissent toutefois que la sortie du charbon sera tout sauf facile pour la région est-allemande. Les coûts liés à la sortie du lignite, estimés entre 5 et 10 milliards d’euros par Greenpeace Allemagne, seraient actuellement à peine couverts financièrement. Les fonds nécessaires à la transition feraient aussi défaut dans les entreprises charbonnières de Daniel Křetínský selon l’organisation. Au sein d’une structure d’entreprise particulièrement kafkaïenne, les filiales du groupe Křetínský utiliseraient en effet un «maquillage comptable» pour siphonner les fonds des entités charbonnières et les placer dans d’autres filiales du groupe. Ne resteraient alors que des coquilles vides, dépourvues des fonds nécessaires à la décontamination et à la revégétalisation des sites miniers.

Dans ces régions charbonnières allemandes, la pénurie d’eau, déjà une réalité aujourd’hui, devrait s’aggraver après 2038 en raison du réchauffement climatique. L’investisseur milliardaire aura-t-il pris la poudre d’escampette d’ici là? 

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Les négociants s’assoient sur la «doctrine du nickel»

Le nickel est un sujet hautement politique en Nouvelle-Calédonie. Au lieu d'assumer leurs responsabilités envers leurs employés autochtones, Glencore et Trafigura battent en re-traite.

En Nouvelle-Calédonie, la lutte pour l'indépendance est étroitement liée au nickel. Jusqu’à un tiers du sol de cet archipel du Pacifique, qui appartient à la France depuis sa colonisation au milieu du XIXe siècle, serait composé de cette matière première. Une «doctrine du nickel»vise à garantir que le peuple autochtone – les Kanaks – obtienne une part équitable des profits de cette richesse naturelle. Mais actuellement, deux géants suisses des matières premières déterminent le sort de l'industrie du nickel en Nouvelle-Calédonie.

Glencore et Trafigura détiennent chacun des parts dans l'une des trois grandes sociétés minières dont l'activité représente la quasi-totalité des exportations de l’archipel. Mais début 2024, les deux entreprises cherchaient toutes deux un moyen de quitter le «Caillou». En raison de la faiblesse persistante des prix sur le marché mondial, Trafigura a gelé ses investissements, tandis que Glencore a même annoncé la fermeture imminente de sa mine.

Quelques mois après les déclarations des groupes suisses, le gouvernement central à Paris a annoncé une réforme du droit de vote néo-calédonien, ravivant un conflit longtemps latent. Le mouvement indépendantiste des Kanaks est descendu dans la rue et s'est livré à des affrontements avec la police armée. Celle-ci a ouvert le feu, utilisant également des balles réelles. Quatorze mort∙e∙s étaient à dé-plorer, au terme de plusieurs semaines d'affrontements.

La situation politique explosive ne semble pas avoir fait changer Glencore d’avis. Bien que cette décision ait appauvri de nombreux habitant∙e∙s de l’île, Glencore a mis la mine à l’arrêt et licencié 1200 personnes, dont beaucoup d'autochtones. Alors que les dernières publicités de la multinatio-nale soulignent que le nickel est essentiel à la transition énergétique, l'affirmation ne semble pas s’appliquer à ses employé∙e∙s.

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Nornickel, entreprise de destruction environnementale

Ce n'est qu'en 2020 qu'une fuite dans un réservoir de diesel révèle les décennies de des-truction environnementale autour de la mine arctique du géant russe.

Depuis sa création il y a 90 ans en qualité de camp de travail soviétique, le complexe minier Norilsk s’est distingué par la destruction environnementale. Après des décennies de pluies acides, seules des étendues de terre nue – s'étendant sur des kilomètres dans le nord de la Russie – témoignent aujourd'hui des anciennes forêts de mélèzes arctiques. L'usine de nickel, désormais exploitée par le groupe russe Nornickel, est de loin le plus grand pollueur de dioxyde de soufre au monde, selon les mesures de la NASA. De plus, l'entreprise exploitante déverse régulièrement des tonnes de fer, de cobalt et de nickel dans les rivières voisines.

Insidieuses, les atteintes à l’environnement ont longtemps été tolérées par les autorités russes. Mais en mai 2020, l'effondrement d'un réservoir de diesel et le déversement des quelque 21'000 tonnes de carburant qu'il contenait ont permis de révéler au grand jour les négligences de l’entreprise. Une marée de diesel rouge foncé s'est répandue dans les rivières voisines. Nornickel a non seulement retardé l'entretien de l'installation, mais aussi les mesures nécessaires pour endiguer la pollution de l'eau, puis a tenté d'empêcher les scientifiques et les médias d'enquêter et de documenter de manière exhaustive les conséquences d'une série de graves défaillances de gestion.

En 2021, l’Agence de surveillance de l’environnement russe a condamné l'entreprise de l'oligarque Vladimir Potanine à une amende d'environ 1,9 milliard de francs suisses, un montant record pour un délit environnemental en Russie. Or, seule une infime partie des indemnités a été versée aux populations autochtones locales, dont les moyens de subsistance dépendent pourtant des ressources naturelles détruites.

Depuis lors, Nornickel travaille à la mise en œuvre de sa stratégie lancée en réaction à ce désastre environnemental. Il est toutefois difficile de vérifier dans quelle mesure celle-ci relève du greenwashing ou aura une quelconque incidence concrète. D’autant que la Russie est soumise à la loi martiale depuis 2022. Une chose est sûre: le nickel sibérien continue d’être commercialisé à Zoug, et ceci depuis plus de vingt ans. 

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La malédiction de la bauxite

Les explosions réalisées pour l’extension d’une mine de bauxite du groupe Rio Tinto obligent des villages entiers à déménager en Guinée.

Le grondement incessant du tonnerre rendait la vie quotidienne insupportable, ont rapporté les riverains de la mine à l’organisation FIAN Germany. Les explosions du groupe minier se seraient rapprochées jusqu’à 500 mètres de leur village. Elles ont provoqué l’effondrement de maisons, soulevé des nuages de poussière et asséché les sources d’eau.

Avec plusieurs milliers de tonnes d’explosifs par an, le consortium autour du groupe minier anglo-australien Rio Tinto – dont la branche commerciale est située à Zurich – agrandit depuis 2016 la mine de bauxite de Sangarédi en Guinée. Une surface deux fois plus grande que la ville de Genève sera rasée, laissant la place à la mine. Le projet est financé entre autres par un prêt de la Banque mondiale de plus de 200 millions de dollars américains. Depuis, l’agriculture est pratiquement impossible, ce qui touche particulièrement les femmes, qui cultivent souvent les jardins dans la région.

En raison de son importance pour l’industrie automobile, le minerai d’aluminium est aujourd’hui considéré comme une matière première critique dans l’UE. La population guinéenne, elle, ne voit pas le fruit de l’intérêt croissant pour son sous-sol. Bien que le pays soit l’un des plus grands producteurs mondiaux de bauxite, le revenu quotidien par habitant n’est que d’environ 3 francs suisses.

Lorsque les habitant·e·s du village de Hamdallaye ont dû céder la place à la société minière pendant la pandémie de coronavirus, celle-ci leur a proposé l’un de ses terrils comme nouveau lieu de résidence. À l’époque, ils avaient accepté cette réinstallation par nécessité. Les populations d’autres villages rapportent également que leurs droits fonciers ont été bafoués. Aujourd’hui, les communautés se défendent dans le cadre d’une procédure devant l’organe de recours indépendant de la Banque mondiale. Elles s’opposent à la violation de leurs droits fonciers, aux explosions et à la destruction de l’environnement. 

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Le silence des abysses

En quête de métaux, le groupe fribourgeois Allseas se prépare à repousser la frontière de l’extractivisme jusqu’au fin fond du Pacifique. Ses robots sous-marins menacent de détruire un écosystème encore à découvrir.

À plus de 4000 mètres de profondeur, la pression étouffe les vibrations sonores et la lumière du soleil a disparu. Seules quelques rares espèces – largement inconnues – produisent leur propre lueur. C’est donc loin des regards, dans les abysses de la zone Clarion-Clipperton, au cœur du Pacifique, que se met en place la prochaine ruée minière: celle des robots sous-marins qui raclent ou aspirent le plancher océanique.

Le deep sea mining (ou extraction minière en eaux profondes) promet une «abondance» de nickel, manganèse, cobalt ou cuivre au service de la course mondiale vers l’électrification. Et c’est sur les épaules des ingénieurs d’Allseas que reposent ces promesses. Basée à Châtel-Saint-Denis (FR) et spécialisée dans la construction de plateformes pétrolières offshore et de pipelines sous-marins, la société s’est associée au groupe canadien The Metals Company (TMC, dont elle détient moins de 20%) pour déployer ses «méga-aspirateurs» maritimes. Depuis 2022, elles ont remonté quelques milliers de tonnes de métaux à la surface, et prévoient de passer à la phase industrielle d’ici fin 2025. Ancien actionnaire de TMC, le géant zougois Glencore s’est assuré, depuis 2012 déjà, de mettre la main sur la moitié de ces métaux océaniques.

Pourtant, cette quête industrielle se fait sans recul scientifique et comporte des risques écologiques majeurs, notamment la destruction d’écosystèmes entiers selon Greenpeace. En 2023, près de 1000 scientifiques ont signé une lettre demandant un moratoire sur l’exploitation minière en eaux profondes. Trente-huit pays, dont la Suisse, soutiennent cette mesure.

Fin juillet 2025, l’assemblée de l’Autorité internationale des fonds marins n’est pas parvenue à s’accorder sur un «code minier marin», illustrant les tensions entre les états membres. Les États-Unis de Donald Trump ont annoncé vouloir faire cavalier seul. Quelques mois plus tôt, le locataire de la Maison-Blanche avait en effet rédigé un décret destiné à ouvrir l’extraction à grande échelle de minerais, y compris en eaux internationales. Ce qui ferait les affaires de certains en Suisse. 

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Les multinationales suisses des matières premières possèdent et exploitent aujourd'hui près de 200 mines: le plus souvent de charbon, néfaste pour le climat, mais aussi des métaux de la transition très demandés pour la transition énergétique, tels que le cuivre et le cobalt. Public Eye a cartographié pour la première fois ces mines dans le cadre d'une recherche exhaustive. Dix cas l'illustrent: les expulsions, la destruction de l'environnement et les pratiques de travail mortelles font partie intégrante du modèle économique.

Le 16 septembre 2025, Manuel Abebe et Adrià Budry Carbó

De plus en plus de négociants suisses en matières premières possèdent des exploitations minières industrielles. Après avoir immensément profité des dernières crises, ces barons miniers investissent aujourd’hui des milliards et accélèrent la production de charbon, de cuivre et de cobalt. Cette intégration verticale leur permet d’augmenter leurs bénéfices et leur influence sur le marché des matières premières. Devenus de puissantes multinationales, les négociants contrôlent désormais l’ensemble de la chaîne de valeur, de l’extraction jusqu’à la vente, une évolution déjà décrite par Public Eye avec les plantations dans le secteur du négoce des matières premières agricoles. Plus que jamais, il incombe aux négociants de garantir le respect des droits humains et de l’environnement. 

Numéro un incontesté des barons miniers suisses depuis le rachat de l’entreprise minière Xstrata en 2012, Glencore dirige non seulement ses activités de négoce international depuis son siège à Zoug, mais aussi l’exploitation de dizaines de mines. La multinationale n’est cependant pas seule : de nombreuses entreprises minières comme Vale, BHP ou Trafigura profitent elles aussi des avantages fiscaux et de la régulation clémente de la Suisse.

Pour mettre en lumière le rôle désormais incontournable de la Suisse dans le secteur, Public Eye a identifié 199 mines en activité (dont un site d’extraction maritime) et les a cartographiées au mètre près. Détenues par 25 négociants suisses en matières premières, ces mines illustrent l’implication de ces derniers dans l’extraction des métaux et minerais dont ils font commerce. Une analyse intensive des registres du commerce, des rapports d’entreprises, des bases de données, des images satellites et de nombreuses autres sources ouvertes permet de montrer que les négociants suisses creusent, forent et prospectent sur six continents pour y extraire des matières premières énergétiques conventionnelles, comme du charbon, mais aussi de nouveaux métaux de la transition comme le cuivre et le cobalt.

Une police qui tire à balles réelles sur des militants sans armes, des projets d’extraction des fonds marins ou d’exploitation du charbon en 2070, ou encore une production de cuivre qui épuise des ressources en eau déjà trop rares: de nombreux désastres sociaux ou écologiques sont provoqués par le secteur minier helvétique. Ces cas que nous avons recensés viennent compléter la carte exclusive des mines suisses. 

De l’extraction sur six continents

Plus de la moitié des mines suisses sont situées en Afrique, en Asie et en Amérique latine, notamment au Brésil, deuxième pays où nous en avons identifié le plus grand nombre. C’est également là que se situe le siège du géant minier Vale, qui gère la totalité de ses activités commerciales via une filiale dans le canton de Vaud, raison pour laquelle nous l’avons inclus dans la liste des négociants suisses. Ces dix dernières années, deux barrages sur plus de ses 20 sites d’extraction de minerai de fer se sont effondrés au Brésil, provoquant des coulées de boue de plusieurs mètres de haut qui ont tué plusieurs centaines de personnes. En Afrique du Sud, qui dépend du charbon pour plus de deux tiers de sa consommation énergétique, plusieurs négociants suisses investissent dans de nouvelles mines pour extraire cette roche sédimentaire – au lieu de promouvoir des sources d’énergies renouvelables. Avec de tels investissements, ces entreprises se rendent en partie responsables de la dépendance de cet immense pays au plus polluant des combustibles fossiles. 

Les États dont les revenus dépendent fortement de la production de matières premières souffrent particulièrement de la concentration du marché entre les mains d’une poignée d’entreprises. C’est le cas, par exemple, de la République démocratique du Congo (RDC), dont un tiers des revenus dépend de ce secteur clé. La RDC est le plus grand producteur mondial de cobalt, un métal de plus en plus recherché, car il rend les batteries plus performantes tout en prévenant les risques d’explosion. En 2024, trois multinationales suisses contrôlaient plus de 70% de sa production dans le pays. Elles influencent ainsi le prix du marché et, par extension, la part de ses richesses naturelles que la RDC peut conserver.

Ces dernières années, les barons des mines ont considérablement augmenté la production mondiale de cobalt, notamment l’entreprise chinoise CMOC, dont la branche commerciale IXM est située à Genève. Pour contrer l’effondrement des prix qui en a résulté, la RDC a décrété une interdiction d’exportation de cobalt en 2025. Malgré cela, les entreprises minières continuent de produire activement, ce qui à terme risque de réduire les revenus d’exportation de l’État congolais. Il ne s’agit là que du dernier épisode en date en RDC qui met en évidence le déséquilibre des rapports de force entre les multinationales et les pays producteurs, et qui perpétue la malédiction des ressources.

Les négociants suisses sont également très présents dans les pays industrialisés, notamment en Australie. Avec ses vastes gisements de charbon et de fer, le pays fait partie de leurs destinations de prédilectio: au total, ils y exploitent 40 mines. En 2023, Public Eye révélait comment les activités liées au charbon des multinationales suisses down under menacent les droits fonciers des Aborigènes. En Amérique du Nord et en Europe, les barons des mines sont aussi en pleine expansion. C’est le cas par exemple de Trafigura, l’un des négociants aux plus gros chiffres d’affaires, qui développe un réseau croissant de mines de zinc aux États-Unis, en Espagne et en Finlande. Ce métal recherché protège le fer de la rouille – et permet de vernir l’image de ce négociant pétrolier.

La promotion de nouvelles matières premières…

Outre le cobalt et le zinc, l’électrification de l’économie mondiale entraîne une forte augmentation de la demande pour d’autres minerais et métaux. C’est le cas du cuivre, utilisé pour le développement des réseaux électriques et les générateurs d’éoliennes. Ou du nickel, qui permet de stocker davantage d’énergie dans des batteries plus petites. Mais aussi de la bauxite, un minerai d’aluminium qui joue un rôle important dans l’industrie automobile et dans les technologies du futur, gourmandes en matériaux.

© Carlos Alonzo/AFP
Au nord-est du Guatemala, la mine Fenix du groupe zougois Solway extrait le nickel au mépris des droits des communautés autochtones.

En raison de leur rôle central dans la transition énergétique, ces matières premières sont également appelées métaux de la transition. La longue liste de projets géopolitiques poursuivis par les grandes puissances de la planète, des États-Unis à la Chine en passant par l’Union européenne, illustre à quel point ils sont convoités. Les négociants suisses ont également remarqué cet intérêt stratégique des États; certains ont même fait du lobbying. Grâce à de nombreux investissements, ils sont désormais bien préparés: plus d’un tiers des mines que nous avons identifiées sont déjà conçues pour l’extraction de métaux de la transition.

Les négociants suisses en matières premières extraient du cuivre, l’un des métaux les plus importants en termes de valeur – dans 28 mines au total. Cela inclut la mine de cuivre la plus productive au monde, celle d’Escondida au Chili. Si les cinq plus grands propriétaires de mines suisses ont désormais tous investi dans l’extraction de ce métal très convoité, nos recherches n’ont pas permis d’identifier d’investissement suisse dans l’extraction de lithium, un autre métal considéré comme porteur d’avenir. Les entreprises suisses développent en revanche leurs activités dans le nickel et le zinc, et de premières mines de terres rares sont passées en mains helvétiques.

Plus d'informations

  • Portée et limites de l’analyse

    Cette cartographie tend à l’exhaustivité. Il est cependant possible que des mines contrôlées depuis la Suisse n’apparaissent pas sur la carte, et ce pour trois raisons. D’une part, les données sur le secteur des matières premières, notamment dans l’extraction, sont encore très lacunaires. Certaines entreprises ne publient ni rapports d’activité ni aucune information publique sur leurs activités minières. D’autre part, la carte ne représente qu’un instantané de la situation en juillet 2025. Les mines exploitées pendant des années mais vendues depuis, tout comme les nouveaux projets d’exploration qui ne sont pas encore en production industrielle, ne sont donc pas représentés. Enfin, seules les mines dans lesquelles les négociants suisses détiennent des participations avérées ont été recensées. Il peut s’agir de mines qu’ils contrôlent entièrement, de joint ventures ou de participations minoritaires.

    La carte ne représente pas non plus les mines pour lesquelles les négociants suisses ont conclu des contrats d’achat à long terme. Souvent secrets, ces accords de commercialisation, ou offtake agreements, leur garantissent des droits d’achat exclusifs et leur donnent une influence décisive sur la production. En cas d’incidents, les entreprises se réfèrent régulièrement à de tels contrats avec leurs fournisseurs pour décliner toute responsabilité. Nous n’avons pas non plus cartographié les infrastructures de transformation des produits miniers, comme les fonderies. Les sites de production de pétrole et de gaz ont également été exclus.

… fait ressurgir de vieux problèmes

Alors que la demande pour des produits plus respectueux de l'environnement augmente, la situation des droits humains dans les pays d’extraction ne semble, elle, guère s'améliorer. C’est ce que révèle une étude du Business & Human Rights Resource Centre (BHRRC), un réseau international d’expert·e·s qui s’est penché sur les rapports d’environ 250 sites d’extraction de métaux de la transition. Dans plus de trois quarts d’entre eux (77%), il recense au moins une accusation d’atteintes à l’environnement ou de violation des droits humains ou du droit du travail. Une comparaison de l’étude du BHRRC avec la carte de Public Eye permet de constater que plusieurs dizaines de mines appartenant à des négociants suisses sont concernées.

Les abus les plus fréquents sont les expulsions et la privation des droits fonciers. Les licences d’exploration s’étendent souvent sur plusieurs milliers d’hectares. Pour ces gigantesques exploitations à ciel ouvert, la population est fréquemment privée de ses terres agricoles et des villages entiers sont détruits. Les communautés autochtones sont particulièrement touchées par ces expropriations forcées, comme le souligne l’ONG suisse Voices: 54% des sites d’extraction de métaux de la transition sont situés sur ou à proximité de territoires autochtones. La pression exercée sur leurs droits et sur ceux des populations rurales devrait encore s’intensifier avec le boom des métaux de la transition.

L’étude du BHRRC documente également de nombreuses accusations de violations des droits des mineurs. Ces ouvriers, dont l’existence dépend des revenus de l’exploitation minière, travaillent sous une contrainte physique extrême. Les blessures et les décès ne sont pas rares. Comme pour la production d’autres matières premières, les conditions de travail précaires, les journées de travail excessivement longues et les revenus insuffisants sont très fréquents. Les syndicats qui luttent contre de tels abus subissent des pressions dans de nombreux pays.

  • © Muhammad Fadli / Panos
  • © Christian Lombardi/Public Eye
  • © Matthew Abbott/Panos
Lors de nos reportages en Indonésie (en haut à gauche), en Australie (en bas à gauche) ou en Bolivie (à droite), nous avons régulièrement documenté des violations des droits du travail et des droits humains ou des dommages environnementaux.

L’impact environnemental du secteur minier ne devrait pas non plus s’améliorer avec la transition énergétique. Ses effets sont particulièrement visibles avec le nickel. En Indonésie par exemple, des entreprises déboisent la forêt tropicale à une vitesse vertigineuse pour l’extraction de ce minerai. La surexploitation et la pollution de l’eau font également partie des dégâts causés par l’extraction, tout comme la pollution de l’air. En Sibérie, une entreprise russe qui négocie son nickel à Zoug a, par exemple, fait d’une ville le numéro un mondial des émissions de dioxyde de soufre, un gaz toxique qui provoque des pluies acides.

Dans plusieurs des cas documentés, ces problèmes ont été tolérés par les gouvernements locaux, ce qui a amené de nombreuses communautés concernées à protester : des militant·e·s anticorruption demandent la restitution des millions de francs que leur pays a perdus à cause des pots-de-vin versés par le secteur extractif aux élites locales ou nationales; des communautés autochtones protestent contre le non-respect de leurs droits fonciers; des syndicats négocient des dédommagements pour les régions et les communautés affectées par la fermeture de mines. Cette résistance face aux entreprises minières est cependant devenue de plus en plus dangereuse ces dernières années. Selon l’ONG britannique Global Witness, 25 défenseurs et défenseuses des droits humains ont été assassiné·e·s en 2023 en lien avec des projets miniers, bien plus que dans n’importe quel autre secteur.

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  • Une transition énergétique juste

    Le concept d’une transition énergétique juste désigne le passage à un modèle économique respectueux du climat, dans lequel les droits humains sont garantis, l’environnement est préservé et un développement durable rendu possible. Et ce, non seulement lors de l’abandon des anciennes sources d’énergie fossile, mais aussi lors du développement d’alternatives climatiquement neutres. Cette transition concerne des individus, des communautés locales, des régions géographiques ou des pays entiers. Y contribuent par exemple la reconversion du personnel des secteurs fossiles et des solutions de reclassement socialement acceptables, la préservation des droits fonciers lors du forage des mines de métaux de la transition, une réhabilitation complète des sols agricoles après la fermeture des mines de charbon, ou encore de nouvelles perspectives pour les régions et les pays qui dépendent économiquement de la production et de l’exportation d’énergies fossiles.

Ce vieux fossile

Alors même que les négociants suisses se préparent à l’essor des métaux de la transition, leur présent est toujours dominé par le plus grand de tous les pollueurs climatiques: le charbon. Un tiers des mines que nous avons recensées extraient ce combustible, soit le plus gros contingent. Les barons miniers l’exploitent sur les six continents, creusant à tout-va. Outre plusieurs mines de lignite à ciel ouvert, la plus grande mine de charbon d’Amérique latine ou de nombreux puits de charbon en Amérique du Nord, les négociants en matières premières se sont notamment emparés de mines nées du défrichement de la forêt tropicale indonésienne.

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La Suisse joue un rôle central dans le commerce du charbon, la source d'énergie fossile la plus polluante et la plus nocive pour le climat, avec ses sociétés minières, ses négociants en matières premières et ses banques.

Cette domination souligne ce que Public Eye critique depuis 2022: la Suisse est la plaque tournante du commerce mondial de charbon et en tire des profits financiers, au détriment du climat. Une partie de ces affaires semble cependant avoir disparu ces deux dernières années: celle liée au négoce du charbon russe, depuis l’invasion de l’Ukraine. Pour cette raison, des dizaines de mines de charbon situées en Russie, désormais sous le coup de sanctions, n’ont pas été incluses dans cette enquête – bien que leurs propriétaires aient vendu pendant des années leur charbon via la Suisse. La majorité de ces entreprises maintient sa raison sociale et quelques employé·e·s en Suisse, comme Public Eye a pu le constater il y a quelques mois en visitant les adresses de leurs bureaux à Zoug. Le départ de leur Eldorado fiscal ne semble donc pas tout à fait définitif. 

Pendant ce temps, les autres négociants suisses s’accrochent au charbon – même si beaucoup affirment le contraire en public. Il y a trois ans déjà, Public Eye leur avait demandé une sortie de ce combustible fossile d’ici 2030. Nous n’avons à ce jour trouvé aucun plan concret allant dans ce sens. À la place, les multinationales ont trouvé un nouveau mythe pour retarder son abandon: le charbon métallurgique, nécessaire à l’industrie sidérurgique pour chauffer ses hauts fourneaux. Comme la transition énergétique nécessitera des quantités énormes d’acier, les groupes miniers «transforment» leur charbon en une matière première essentielle pour un avenir durable. C’est avec cette pirouette que Glencore, par exemple, entend justifier l’extraction de cette énergie fossile jusqu’en 2070.

Paradis fiscal et havre d’investissement suisse

En plus des négociants, la Suisse attire également les groupes miniers mondiaux. La raison principale? Ils peuvent commercialiser leurs matières premières pour un taux d’imposition très bas. Vale en est l’exemple idéal: en 2013 déjà, Public Eye avait reconstitué comment la plus grande multinationale de minerai de fer au monde utilisait la Suisse pour ses pratiques agressives d’évasion fiscale. La conséquence de ces avantages: les recettes fiscales manquent dans les pays de production. Quant à l’ampleur de ces pertes, elle est presque impossible à chiffrer, la Suisse étant notoirement discrète sur le plan financier.

La Suisse est également intéressante pour les entreprises qui souhaitent sécuriser leurs investissements miniers. Derrières certaines boîtes aux lettres se cachent ici une mine de charbon, là une mine de cuivre ou un site de production de terres rares. Outre les avantages fiscaux, une série de facteurs font des holdings suisses un refuge sûr pour les entreprises minières. Premièrement, la stabilité de la place financière helvétique permet des investissements à long terme. Deuxièmement, la Suisse est un centre mondial du secret financier, ce qui permet à plus d’un investisseur dans le charbon de dissimuler ses véritables avoirs. 

Enfin, la Suisse autorise ses entreprises à poursuivre d’autres États en justice. Grâce à son réseau dense d’accords de protection des investissements, elle donne aux entreprises l’accès à un système de tribunaux privés opaques. Devant ces instances, les exploitants miniers peuvent poursuivre des pays pour des millions de dollars de dommages et intérêts. Glencore, par exemple, a déjà lancé plusieurs coûteuses procédures judiciaires contre l’État colombien devant de tels tribunaux.

La Suisse doit trouver des réponses pour l’avenir

Tant que les pays à haut revenu comme la Suisse ne freineront pas leur consommation croissante de ressources, la production des métaux de la transition continuera d’augmenter avec l’électrification de l’économie mondiale. Les négociants suisses en matières premières possèdent déjà de nombreuses mines et étendent constamment leur territoire avec de nouveaux projets. Dans ce contexte, il est essentiel que les droits humains et environnementaux soient respectés. Se tourner vers un avenir que l’on espère plus propre ne doit pas faire oublier la réalité du présent, dans lequel le charbon joue encore le premier rôle.

La carte mondiale de leurs mines souligne l’importance croissante que les négociants suisses ont aujourd’hui dans l’extraction de ressources énergétiques clés. Ils influencent les cours mondiaux et contrôlent parfois directement les vannes financières de pays producteurs entiers. Les témoignages issus de ces régions montrent à quel point les droits humains et les normes environnementales y sont souvent bafoués. Pour éviter cela à l’avenir et ne pas faire obstacle à une transition énergétique juste, la Suisse doit réguler sa place de négoce des matières premières. Sans quoi elle risque elle aussi de devoir se soumettre à ses barons miniers.

Manifestation à Lausanne en 2019. «Pour Glencore, Vale, Trafigura, Nestlé des baisses d’impôts. Pour leurs victimes de tristes rafiots.»

Les revendications de Public Eye

  • Pour enfin disposer d’une vue d’ensemble des activités minières des négociants, la Suisse doit tracer systématiquement l’origine de toutes les matières premières négociées à Genève, Zoug ou Lugano.
  • Afin de garantir les obligations de diligence et de transparence nécessaires à l’extraction de minerais de transition et à la conclusion de contrats commerciaux qui en découlent, la Suisse a besoin d’une autorité de surveillance du secteur des matières premières en tant qu’organe de contrôle public.
  • Pour protéger les droits humains et l’environnement dans les pays d’extraction, la Suisse doit introduire une législation efficace sur la responsabilité des multinationales.
  • Pour exiger de ses négociants une sortie du charbon et un calendrier contraignant, la Suisse doit imposer une publication transparente et complète de leurs bilans climatiques, des plans de transition clairs et des compensations financières.
  • Pour répartir plus équitablement les bénéfices du secteur et atténuer ses conséquences sociales et écologiques, la Suisse devrait promouvoir des solutions internationales, au lieu de se joindre à la course géopolitique aux matières premières stratégiques.

La Suisse, plaque tournante du charbon mondial