La corruption, le blanchiment d’argent et la Suisse

© GettyImages / Michaela Begsteiger
La corruption et le blanchiment d’argent privent les pays du Sud de ressources dont ils auraient grandement besoin. La Suisse a longtemps été un havre de paix pour les fonds acquis illégalement, et elle le reste en partie. Plutôt que de chercher à améliorer la lutte contre la corruption, la Suisse s’oppose à toute réglementation ou ne réagit que sous la pression internationale, tandis que les scandales se multiplient et présentent un risque pour la réputation du pays.

La corruption permet à un petit nombre de personnes de s’enrichir mais elle fragilise la société dans son ensemble, depuis l’économie privée jusqu’à l’État. Il est reconnu depuis longtemps que la corruption est l’un des principaux obstacles au développement, car elle est non seulement néfaste aux structures de l’État de droit et de la démocratie, mais elle conduit également à une mauvaise utilisation des fonds publics et à des distorsions de la concurrence.

Les faits montrent que, dans les États au taux de corruption élevé, les droits humains sont peu respectés. Dans son Indice de perception de la corruption 2020, Transparency International classe par exemple le Venezuela, le Yémen, la Syrie, le Soudan du Sud et la Somalie au bas de son classement de 180 États. La corruption et les violations de droits humains ont aussi des causes communes, comme la pauvreté et la faiblesse des institutions. Le préambule de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, signée en France en 1789, affirmait déjà que «l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements».

La corruption: de quoi parle-t-on?

La corruption n’est pas un terme technique. Bien que des débats autour de la lutte contre la corruption soient menés depuis plus de trente ans, il n’existe pas de définition universellement reconnue et exhaustive du concept, que ce soit dans les codes pénaux ou dans les conventions internationales. La définition la plus courante est celle de Transparency International:

La corruption [est] l’abus de pouvoir à des fins privées commis par la personne à laquelle ce pouvoir a été confié.

Un tel abus peut être d’ordre bureaucratique dans l’administration publique («petite corruption») ou au niveau de hauts responsables, souvent politiques («grande corruption»). Ces expressions ne sont pas non plus des termes juridiques mais décrivent seulement diverses manifestations d’un phénomène transversal.

Le droit pénal porte uniquement sur la corruption effective, dont des formes plus «légères», telles que l’octroi ou l’acceptation d’avantages. Ces faits de corruption se réfèrent à des abus de pouvoir de la part d’agents publics. La corruption concerne aussi d’autres comportements qui ne font pas forcément l’objet de sanctions pénales, comme les conflits d’intérêts, qui favorisent des actes illégitimes ou illégaux. Ou, concrètement, le «trafic d’influence», tel qu’il est reconnu dans le droit pénal français: le fait pour une personne de recevoir – ou de solliciter – des dons dans le but d’abuser de son influence, réelle ou supposée, sur un tiers afin qu’il prenne une décision favorable.

La corruption couvre aussi les financements illégaux de partis ainsi que les actes plus diffus de clientélisme, de patronage ou de népotisme. Des actes peuvent également être «de nature corruptive» quand aucune loi ne les réprime encore. Car la corruption est souvent complexe et malléable: elle peut développer de nouvelles formes que le droit ne couvre pas encore. C'est la raison pour laquelle, à côté de la répression, la prévention est aussi un outil important dans la lutte contre la corruption.

Le blanchiment d’argent

La lutte contre le blanchiment d’argent est un moyen important de prévenir la corruption ainsi que d’autres formes de criminalité économique. Initialement développée pour combattre le trafic de drogue, la lutte contre le blanchiment d’argent a rapidement été étendue à une gamme plus large de crimes financiers, avec la même intention: que le crime ne paie pas.

Blanchir de l’argent, c’est-à-dire?

Le blanchiment d’argent consiste à cacher l'origine d'une somme d'argent acquise par le biais d’une activité illégale en la réinjectant dans des activités légales. Il s'effectue généralement en trois étapes, qui permettent à l’argent sale d’avoir l’air légitime.

  1. Le placement: dans un premier temps, il s’agit de faire entrer les avoirs issus d’activités criminelles dans le système financier. La personne qui blanchit l'argent peut, par exemple, déposer directement des espèces sur un compte bancaire.
  2. La dispersion: cette phase consiste à utiliser l’argent dans de nombreuses transactions afin de perdre la trace des activités criminelles dont il est issu. Les fonds peuvent être transférés sur d’autres comptes ; ils peuvent aussi servir à acquérir des titres ou des placements financiers.
    En général, l’argent est disséminé afin qu’il soit plus difficile de retracer les transactions illicites initiales. Les sociétés offshore, enregistrées dans des juridictions très peu réglementées et opaques, sont le plus souvent utilisées pour faire transiter ou héberger les fonds, à travers des montages financiers complexes. 
  3. L’intégration: cette phase consiste à réintroduire les fonds dans des activités économiques légales, par exemple en achetant des biens immobiliers.

La lutte contre le blanchiment d’argent a donc pour but d’éviter que des «valeurs patrimoniales d’origine criminelle rentrent dans le système financier légal, les dispositions légales en vigueur devant par exemple entraver le crime organisé et le financement du terrorisme» (note de la FINMA, 2020).

Le «détournement de fonds» entrave le développement

La corruption et le blanchiment d’argent sont des phénomènes mondiaux, et il est reconnu qu’ils sont néfastes à la stabilité économique et politique des États. Tout comme d’autres crimes économiques et financiers, ces actes se sont immiscés dans les structures économiques et politiques de la plupart des pays, et ont notamment contribué au déclin économique et à l’instabilité politique de pays du Sud. Cela n’est pas nécessairement dû à un manque de mesures législatives mais souvent à un cadre réglementaire laxiste, à des systèmes financiers fragiles ainsi qu’à des troubles civils et politiques persistants.

Les pays riches, comme la Suisse, ont une grande part de responsabilité et profitent de la situation. La Suisse a longtemps été un havre de paix pour les «avoirs de potentats»: des fonds acquis illégalement par des personnes politiquement exposées (PPE). Aujourd'hui encore, la Suisse abrite des avoirs de PPE acquis illégalement (fonds Duvalier, «Printemps arabe», Liban...) et cherche des solutions pour les restituer. À cela s’ajoutent de récents scandales de corruption et des réseaux internationaux de blanchiment d'argent pour lesquels de nombreux comptes bancaires et prestataires financiers suisses ont fait les gros titres: 1MDB, Lava Jato, Panama Papers ou encore PDVSA.

Pour lutter efficacement contre la corruption et le blanchiment d’argent, il ne suffit donc pas que des mesures soient prises dans les pays du Sud. Les pays riches, comme la Suisse, doivent également assumer leurs responsabilités.