Blanchiment d’argent pour le roi de la cocaïne: Credit Suisse est sur le banc des accusés à Bellinzone

Un procès qui fera date s’ouvre aujourd’hui à Bellinzone devant le Tribunal pénal fédéral. Credit Suisse est accusé d’avoir blanchi des millions de francs pour des trafiquants de cocaïne bulgares entre 2004 et 2008. Cette plongée dans les affaires sombres de la deuxième plus grande banque helvétique expose les défaillances d’un système qui, aujourd’hui encore, ne permet pas de lutter efficacement contre le blanchiment d’argent. Elle montre la nécessité de renforcer les dispositifs et de durcir les sanctions.

Après le procès de la Falcon Bank en automne, c’est la deuxième fois seulement qu’une banque comparaît devant le tribunal pénal fédéral pour défaut d’organisation (art. 102 CP). Les faits reprochés à Credit Suisse ainsi qu’à l’une de ses anciennes employées, poursuivie pour blanchiment d’argent aggravé, sont dignes d’une série Netflix sur la pègre. Dès 2004, la banque a noué des relations d’affaires avec le chef d’un réseau criminel bulgare actif dans le trafic de cocaïne et l’un de ses acolytes, enregistrés auprès de Credit Suisse comme de riches entrepreneurs immobiliers. Les deux hommes ont ainsi pu mettre en place un système destiné à blanchir en Suisse une partie des fonds de l’organisation. De nombreuses sociétés offshore ont été utilisées pour dissimuler leur origine criminelle. Deux membres présumés du réseau ainsi qu’un ex-employé de Julius Bär sont également sur le banc des accusés. 

Ignorant tous les signaux d’alarme, cette gérante a permis aux trafiquants de drogue de blanchir 55 millions de francs en quatre ans – dont des dizaines de millions déposés en espèces aux guichets de la succursale de Zurich. Mais pour le Ministère public de la Confédération, c'est bien l’entier du dispositif anti-blanchiment de Credit Suisse qui a failli: «les défaillances dans la clarification de transactions à risques accrus étaient généralisées au sein des conseillers à la clientèle de CREDIT SUISSE», indique l’acte d’accusation. La banque rejette «toutes les accusations portées contre [elle] dans cette histoire héritée du passé» et affirme avoir «massivement renforcé» son dispositif anti-blanchiment. Depuis les faits, Credit Suisse a été épinglée au moins trois fois par la FINMA pour avoir violé ses obligations prévues par la loi anti-blanchiment (LBA), mais les réprimandes du gendarme des marchés financiers sont sans conséquence.

La pression politique augmente toutefois autour du manque d’efficacité et de sévérité de la FINMA, comme en témoignent plusieurs objets parlementaires. Un postulat déposé en décembre par la conseillère nationale Birrer-Heimo Prisca (PS/LU) demande au Conseil fédéral d’examiner comment la doter d’«outils solides lui permettant de poursuivre efficacement les infractions». Le procès de Credit Suisse, dont le verdict est attendu le 10 mars, sera aussi celui d’une Suisse qui maintient sa place financière au rang de paradis pour la criminalité économique. D’autres banques sont sous enquête pénale en Suisse: PKB PrivatBank, la Banque Cramer & Cie et J. Safra Sarasin (le scandale Petrobras), Lombard Odier (les fonds Gulnara Karimova) et BSI (1MBD).

Jusqu’à récemment, le procureur général de la Confédération traitait ce type d’affaires par une procédure plus courte et derrière des portes closes. Ce procès public contre Credit Suisse est certainement le fruit du durcissement à l’encontre des banques et des sociétés impliquées dans des faits de corruption et de blanchiment annoncé fin 2016. Neuf entreprises ont été condamnées pour des défaillances organisationnelles depuis 2003. Ces condamnations ainsi que les nombreux scandales internationaux impliquant la place financière et des sociétés suisses montrent qu’au niveau pénal également, les sanctions encourues sont ridiculement faibles. Dans le cas de Credit Suisse, le parquet fédéral demandera une créance compensatrice d’environ 42,5 millions de francs. Quant à l’amende, elle ne dépassera pas 5 millions de francs, le montant maximal prévu par la loi. Une broutille pour une banque qui affichait en 2020 un bénéfice net de 2,7 milliards de francs.  

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