Rapport contradictoire sur les matières premières: un problème mais pas de propositions du Conseil fédéral

Le 26 février, le gouvernement suisse a publié son rapport sur la «Supervision des activités de négoce de matières premières sous l'angle du blanchiment». Ce rapport vise à déterminer si la «surveillance indirecte» des banques est suffisante pour prévenir la corruption et le blanchiment d'argent dans le négoce. Bien que le Conseil fédéral constate le risque élevé de corruption dans ce secteur, il ne propose aucune mesure efficace.

Le rapport répond à un postulat du Conseil des États, déposé dans le sillage d'une enquête publiée en 2017 par Public Eye. Celle-ci révélait comment Gunvor a obtenu des contrats pétroliers lucratifs en République du Congo par le biais d'intermédiaires et de paiements de nature corruptive. L'année dernière, ce négociant en matières premières, basé à Genève, a été condamné à payer 94 millions de francs pour «défaut d’organisation» par le Ministère public de la Confédération. Cette affaire a clairement montré que les banques ont échoué à déceler et empêcher les transactions illicites. Il n'est donc pas étonnant que le Conseil fédéral reconnaisse officiellement, dans son rapport, le «risque élevé de corruption» auquel est exposé le secteur du négoce de matières premières.

Le rapport indique aussi clairement qu'il est très difficile pour les banques suisses de détecter les transactions commerciales illicites dans le négoce. Le texte ne contient toutefois aucun chiffre nouveau sur l'ampleur du financement bancaire. Public Eye a donc analysé les données fournies par le cabinet d’étude néerlandais Profundo. Selon celles-ci, les cinq grandes maisons de négoce suisses Glencore, Trafigura, Vitol, Mercuria et Gunvor ont obtenu un total de 367,8 milliards de dollars de prêts entre 2013 et 2019. Une part considérable de ces fonds provient d'établissements financiers étrangers pour lesquels la «surveillance indirecte» par des banques soumises à la réglementation suisse est exclue dès le départ.

Des établissements issus de juridictions moins réglementées jouent aussi un rôle clé. Avec près de 11,4 milliards de dollars en 2016, la banque VTB, contrôlée par le Kremlin, est par exemple devenue le plus important prêteur de Glencore. Parmi les partenaires opaques figure aussi la Banque centrale de Libye, qui travaille avec quatre des cinq principaux négociants helvétiques. Il est par ailleurs frappant de constater la montée en puissance des banques mauriciennes, connues pour leur manque de transparence.

Bien que le Conseil fédéral reconnaisse la corruption dans le négoce de matières premières comme une infraction préalable au blanchiment d'argent, des propositions pour une surveillance efficace font défaut. Les «Lignes directrices pour la mise en œuvre des principes de l'ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme» sont présentées comme une mesure préventive. La question de la lutte contre la corruption n’y est pourtant pas mentionnée. Nous en savons quelque chose: Public Eye a participé à l’élaboration de ce texte. Le nouveau rapport du Conseil fédéral montre une fois de plus la nécessité d'imposer des devoirs de diligence contraignants aux négociants, notamment en matière de relations d'affaires. En proposant la création d'une autorité de surveillance du secteur des matières premières, la ROHMA, Public Eye a montré comment une telle supervision permettrait d'établir des règles claires et sanctionner les sociétés qui ne les respectent pas.

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